#106 Les bijoux des suffragettes

By Anne Desmarest de Jotemps
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Dans cette semaine qui célèbre les femmes, j’ai choisi de vous parler des bijoux de suffragettes. Parce qu’il ne faut jamais penser, que les droits que les femmes ont acquis, le sont pour toujours et ce qui se passent aujourd’hui dans certains pays nous le rappelle violemment. Et parce qu’il ne faut jamais oublier, le combat que les femmes ont dû mener, ne serait-ce que pour pouvoir exprimer leur opinion.

Déjà dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges écrivait « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune ». Nous étions en 1791 et rappelons le, les françaises obtiendront le droit de vote en 1944 et l’exercerons pour la 1e fois en 1945.

Dans notre héxagone souvent libéral, dès qu’une expression du peuple a été sollicitée par le pouvoir, c’est-à-dire dès les premiers Etats Généraux de Philippe Le Bel en 1302, on a retiré aux femmes le droit de s’exprimer. Même La Révolution se dépêche de classer les femmes comme « citoyens passifs » c’est-à-dire comme des enfants et à ce titre leur dénie le droit de participer à l’expression publique. Sporadiquement, en temps que nobles ou propriétaires, elles peuvent voter mais seulement pour choisir l’homme qui les représentera.

Dans les années 1900, L’Union française pour le suffrage des femmes et la Ligue française pour le droit des femmes sont les deux principales organisations d’orientation réformiste qui mènent la lutte pour le droit de vote des femmes. Le droit de vote féminin ne sera acquis en France qu’après la 2e guerre mondiale et ne sera même pas la reconnaissance de leur actions pendant ces conflits mondiaux. D’ailleurs, dans la première assemblée de 1946, la majorité des femmes élues le seront en tant que « femmes de » ou « veuves de » mais pas en tant qu’individu femme.

Au cours de toutes ces années, les femmes auront organisé des milliers de conférences, distributions de tracs, manifestations et défilés, .En 1932, la militante Jane Valbot interrompt même à deux reprises une séance du Sénat en lançant des tracts dans l’arène et en s’enchaînant à l’un des bancs.

Les sanctions étaient très sévères : arrestations et emprisonnement, leur mari peuvent demander le divorce, elles peuvent aussi être déchu de leur rôle parental et on leur enlève leurs enfants.

Outre-Manche, la 1e pétition en faveur du vote des femmes est déposée au Parlement en 1866. Barbara Bodichon et Emily Davies crée le Women’s Suffrage Committe en 1867 qui essaime en de multiples comités locaux. En 1888 pour la 1e fois, les cheffes de famille femmes peuvent voter aux conseils de comtés chargés de l’administration locale. Et en 1903, Emeline Pankhurst et ses filles Christabel et Sylvia créent la Women Social and Political Union, la WSPU. Pour la première fois, les militantes sont appelées « Suffragettes ». Elles pensent que la voie légale est un échec alors leur devise est « Deeds, not words »  donc « Des actes, pas des mots ». Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’elles appliquent cette devise à la lettre de façon radicale. Les suffragettes s’inscimissent dans les procès pour faire entendre leur voix, organisent des manifestations virulentes, jettent des pierres sur les policiers, brisent les vitrines, mettent le feu aux bâtiments et essaient même d’incendier la maison du Premier Ministre David Lloyd George. Elles se font également violences envers elles-même en faisant la grève de la faim.

Bien sûr la répression est à la hauteur de leur énergie, elles sont battues et jetées en prison avec tellement de brutalité qu’une de leur manifestation sera appelée le vendredi noir et la police a ordre de nourrir de force les grévistes de la faim.

Alors la WSPU crée son propre service d’ordre appelé le Bodyguard, qui rassemble environ quarante femmes entraînées au jujitsu.

Le paraxysme est atteint en juin 1913 quand la militante Emily Davison manifeste en plein milieu de la course du Derby d’Epsom et est piétiné par les chevaux. Son enterrement rassemblera des milliers de londoniens et tous les groupes suffragistes, même ceux qui commencent à contester les méthodes musclées de la WSPU.

Quand la première guerre mondiale est déclarée, Emeline Pankhurst demande aux suffragettes de se consacrer à soutenir l’effort de guerre. Après la guerre, en 1918, le droit de vote sera obtenu pour les femmes propriétaires de plus de 30 ans en et en 1928, toutes femmes auront accès au suffrage universel, comme les hommes, dès 21 ans.

Si la WSPU a pu se développer c’est bien sûr grace à l’énergie d’Emeline Pankhurst, mais aussi grace au soutien et au réseau du couple fortuné formé par Emmeline et Frédérick Pethick-Lawrence qui seront les créateurs du journal Votes For Women et feront en sorte que les dons affluent et que les adhésions s’étendent dans tout le Royaume-Uni.

Emmeline Pethick-Laurence explique les couleurs auquelles se réfèrent les suffragettes : « Le violet comme tout le monde le sait est la couleur royale. Il représente le sang royal qui coule dans les veines de chaque suffragette, l’instinct de liberté et de dignité… le blanc représente la pureté dans la vie privée et publique […] le vert est la couleur de l’espoir et l’emblème du printemps ».

Ces couleurs viennent du logo de la WSPU créé par Sylvia Pankhurst, la fille d’Emeline Pankhurst formée à la Manchester School of Art et au Royal College of Art. Ces couleurs incarnent par la correspondance des initiales le message du parti comme un code secret : Green White Violet – Give Women Votes. La WSPU a ainsi été le premier mouvement à utiliser des couleurs pour créer une identité politique.

En portant ces couleurs par leurs vêtements ou leurs accessoires comme une écharpe, les suffragettes montraient publiquement leur identité, et se repéraient entre elles.

Et quand Sylvia Pankhurst rencontre l’artiste Arthur Joseph Gaskin affilié au mouvement Arts & Crafts ce sont les bijoux qui vont être réalisés. Car il est peintre, illustrateur, graveur et créateur de bijoux. Ensemble, ils réalisent l’emblématique Holloway Brooch en argent qui représente la « herse » c’est-à-dire une porte suspendue dans des chaînes, et dont le motif est le symbole de la chambre des communes. Au centre de la herse une flèche, la Broad arrow, aux couleurs de la WSPU rappelle le signe présent sur les uniformes des prisons britanniques. Elle est encadrée latéralement par deux chaînettes qui rappellent la détention.

Pour mémoire Holloway est une prison pour femme et entre 1909 et 1914 de nombreuses suffragettes y sont incarcérées. La Holloway Brooch est remises aux suffragettes à leur sortie de prison, la première fois ce sera le 29 avril 1909 lors d’une cérémonie au Royal Albert Hall. Cette broche peut aussi s’assortir d’un ruban gros grain aux couleurs vert blanc violet comme une décoration militaire.

holloway brooch

Par ailleurs le WSPU crée une décoration spécifique pour les suffragettes grévistes de la faim.

Présentée dans une boîte violette avec une inscription qui disait: « En reconnaissance d’une action courageuse, par laquelle, grâce à l’endurance jusqu’à la dernière extrémité de la faim et des difficultés, un grand principe de justice politique a été justifié », la médaille se suspend sur un ruban aux couleurs verte, blanche et violette à partir d’une barrette en argent gravée de l’inscription « For Valour ». sur le ruban les barres unies indiquaient les arrestations et les barres colorées signifiaient une alimentation forcée gravée à l’arrière de la mention « fed by force » avec la date et il pouvait y en avoir plusieurs barres sur un même ruban. La médaille, suspendue, comportait sur l’avant la mention « Hunger Strike » et au revers le nom de la suffragette.

Le Musée de Londres a dans son fond la décoration de Lady Constance Lytton. Arrêtée une première fois le 9 octobre 1909, pour avoir jeté une pierre sur la voiture de Lloyd George, elle entame une grève de la faim mais n’est pas nourrie de force parce que c’est une lady. Indignée par cette inégalité sociale, elle se déguise en roturière et sous le speudo de « Jane Warton » est arrêtée le 14 janvier 1910 pour avoir manifesté à Walton Goal. Elle sera nourrie de force plusieurs fois en 1910. Sa décoration indiquent toutes ces violences et ses 2 noms ainsi que la devise du WSPU « Deeds not words ».

Une copie de ce bijou sera portée par Meryl Streep et Hélèna Bonham Carter dans le film Suffragette de 2015.

Pour les suffragettes aisées, des bijoux ont été fabriqués dans une tradition plus joaillière et les couleurs de la WSPU sont symbolisées le plus souvent par l’améthyste, le diamant et le péridot.

Dans le catalogue Mappin & Webb de Noël 1908, il y a une page dédiée aux « Suffragette Jewellery », avec cinq pièces « en émail et pierres précieuses », des broches et des pendentifs sertis d’or avec des émeraudes, des perles et des améthystes.

Le collier que j’ai choisi pour la vignette de ce podcast et qui a été présenté à Drouot est un délicat pendentif ajouré où l’on retrouve les couleurs du WSPU dans les pampilles de gouttes de péridot ovale, de diamants taille ancienne et de tourmaline mauve taille poire. Par ailleurs, le centre en topaze surmontée de saphirs roses carrés et serti de perles s’éloignent un peu du bijou de suffragette habituel. Mais sa boîte originale porte l’inscription ‘Bessie from Alfred 15 sept 1910. Ainsi on peut l’attribuer à Elisabeth Watson qui était une des plus jeunes suffragettes doublée de la plus jeune joueuse de cornemuse du monde. Elle aura joué de la cornemuse sur le quai de la gare de Waverley où les trains emmenaient les suffragettes à la prison de Holloway et aussi devant la prison de Calton pour les militantes incarcérées.

Pour ce bijou, l’origine est donc attestée. car c’est bien la difficulté des bijoux de suffragettes que l’on retrouve aujourd’hui. Les gemmes qui illustrent les couleurs de la WSPU étaient aussi celles que l’époque édouardienne plébiscitait. La joaillerie des suffragettes comportent souvent de l’émail aux couleurs du WSPU mais c’était aussi le goût de l’époque. Il est donc très complexe d’acertainer le bijou. Les gravures sont un moyen de les authentifier, on peut lire des inscriptions comme «  together at the vote » ou « stand up together », mais aussi « women for vote » ou même « come on ». D’autre fois ils comportent des dates comme les années où le droit de vote a progressé. Les bijoux des suffragettes sont très demandés par les collectionneurs avisés. Ce sont des bijoux rares qui méritent qu’on les recherchent pour les porter respectueusement en souvenir de ce long combat pour le droit de vote des femmes.

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