#50 La photo de bijoux : secrets de savoir faire

Si vous êtes comme moi il a du vous arriver de tomber en arrêt devant un magnifique bijou en vitrine, de dégainer votre portable, de prendre soigneusement en photo ce merveilleux joyau pour vous apercevoir que l’image recueillie ne respectait pas les couleurs initiales, que l’objet était déformé et que rien ne transparaissait de l’émotion que vous aviez ressentie devant le bijou.

Si vous êtes joaillier vous savez combien il est difficile de faire une belle photo de vos réalisations, que ce soit pour les réseaux sociaux, votre site internet ou pour paraitre dans un magazine.

Dans cet épisode de podcast, je ne prétends pas vous apprendre à faire de belles photos de vos bijoux mais vous faire découvrir ce savoir faire très particulier et tellement nécessaire pour faire connaitre et faire apprécier le savoir faire joaillier.

Yoann L’Hostellier pour Morphée joaillerie

La photographie et les bijoux

Le mot photographie vient de l’association de 2 mots grecs φωτoς, photos qui signifie « utilise la lumière » et γραφειν, graphie qui veut dire « qui écrit » et « qui aboutit à une image ». Aussi la photographie veut dire littéralement : « peindre avec la lumière ».

La photographie est issue de nombreuses innovations technologiques et techniques dans les domaines de l’optique, de la chimie, de la mécanique, de l’électricité, de l’électronique puis de l’informatique. Elle émerge donc au XIXe avec les révolutions industrielles. Plusieurs chercheurs et techniciens créent des avancées dans le domaine et c’est la somme de toutes ces innovations qui va aboutir à la photographie dont la date conventionnelle de l’invention est marquée le7 janvier 1839, par la présentation par Arago à l’Académie des sciences du daguerréotype9. En 1861, Thomas Sutton réalise la première photographie couleur. En 1869, Louis Ducos du Hauron et Charles Cros présentent un procédé à l’origine de la trichromie. A ce moment la photo reste un moyen de spécialiste. Et c’est en1888, avec le lancement du kodak par George Eastman, que ce premier appareil photo portatif ouvre la voie aux photographes amateurs. Quand à la photographie mobile, c’est-à-dire la photographie avec les smartphones, son engouement date du début des années 2010.

Ces avancées techniques donnent l’impression que faire une photo est simple aussi nous prenons plus d’un milliard de photographies par an. Seulement sont-elles de bonnes photos ? Là est toute la question, à laquelle s’ajoutent les spécificités de ce que nous photographions.

Yoann L’Hostellier pour Irène Paris

Dans le cas des bijoux il y a plusieurs problématiques. Les premières sont intrinsèques, un bijou est souvent petit, et l’intérêt c’est de bien montrer les détails et tous ceux qui ont utilisé une fonction zoom savent bien que ça génère du flou. Ensuite le métal est une surface réfléchissante donc elle renvoie la lumière où vous en train de la photographier. Enfin les pierres sont difficiles à prendre en photo d’autant plus qu’elles sont transparentes et le diamant est évidemment le plus difficile.

Une autre problématique est la sorte de photos dont le joaillier à besoin selon l’utilisation qu’il va en faire. Globalement il a besoin de 3 styles différents de visuels qui correspondent à 3 besoins d’illustration de ses bijoux. Il y a la photo du bijou sur fond blanc pour montrer l’objet en temps que tel avec les détails et il faut plusieurs visuels pour bien montrer le bijou de tous côté, il y a la photo du bijou porté qui donne la dimension de l’objet en situation et explicite la façon dont on le porte et enfin, il y a la photo en situation qui inscrit le bijou dans l’univers du joaillier.

photo Mary Erhardy

Le secret de la lumière

Le secret de la photo en général réside dans la maitrise de la lumière. La lumière se dompte déjà avec la technique propre aux appareils photo c’est-à-dire la balance des blancs qui sert à maitriser la couleur, l’ouverture du diaphragme sur l’exposition et la zone de netteté, la vitesse d’obturation sur l’exposition et le mouvement, et la sensibilité ISO qui correspond à la sensibilité du capteur à la lumière. Cette technique est bien sûr maitrisée par tous les photographes.

Puis il y a la compréhension de la lumière dans le résultat que l’on veut obtenir. Elle peut être dure ou douce suivant l’effet recherché. Ou encore donner une atmosphère d’hiver ou d’été ou encore intemporelle et là il faut choisir des réflecteurs appropriés. Ou bien on peut vouloir une ombre précise qui va suggérer une ambiance et dont il faut anticiper les inconvénients : par exemple si on veut un style à la Rembrandt la lumière forme un triangle sous l’œil du visage le reste est donc moins visible, si on veut un clair-obscur les arêtes du produit s’estompent ce qui ne convient pas à certaines formes de bijoux, et si le fond est très blanc les volumes ont tendance à s’effacer.

Yoann L’Hostellier pour Morphée joaillerie

Par ailleurs, toute source lumineuse directe sur un bijou crée des ombres portées c’est-à-dire la zone qui est soustraite aux rayons lumineux par le bijou. Si cette ombre est naturelle, elle n’est pas forcément à la place où on le souhaite, pour souligner un volume par exemple, ni de la tonalité voulue et peut alors ternir l’éclat de la gemme ou changer la couleur du métal.

Yoann L’Hostellier pour Canaglia

Le photographe Yoann L’Hostellier, spécialiste de la photo de joaillerie et de luxe, m’a expliqué que l’ombre et la lumière se composent un peu de la même façon comme lorsqu’on peint un tableau. L’objectif de l’ombre et de la lumière est de respecter le volume du bijou, de faire comprendre les pierres et les ajustements, de souligner le travail du métal et les détails comme le sertissage ou le polis du bijou, de mettre en valeur le logo de la marque.

Yoann L’Hostellier pour Hoehl’s

Ensuite Yoann travaille l’agencement de la composition de la photo. Car exactement comme pour un tableau, la photo se structure autour d’une ligne d’horizon, des points de fuites et des lignes de forces. Cette architecture de l’image donne un mouvement au bijou qui par ailleurs est fixe et crée cette émotion que l’on ressent devant la photo.

Yoann L’Hostellier pour Aqun Official

Au-delà de ces savoir faire, les photographes spécialistes des bijoux ont aussi des secrets et des astuces qui leur sont propres et qu’ils adaptent à chaque cas. Si on imagine un bijou souple, par exemple un collier ou une boucle d’oreilles pendantes, on peut prendre une photo à plat mais le fermoir va créer une déformation du bijou sur l’image, le photographe peut imaginer des façons de suspendre l’objet pour montrer toute sa beauté et faire disparaitre, en traitant ensuite la photo, les suspensions et le socle puis réintroduire l’image dans un autre fond. C’est la post production. On se doute bien que cette phase de traitement de l’image est alors aussi importante que la prise photographique et nécessite autant de savoir faire.

Yoann L’Hostellier pour Tazaki

Photographier un bijou porté

Pour le bijou porté, la photographie a encore d’autres secrets. La photographe Mary Erhardy, spécialiste de la photo de bijoux portés, m’a révélé le difficile équilibre à trouver entre le mannequin et le bijou. Tout d’abord il faut un bon modèle.

Photo Mary Erhardy

Et ce n’est pas si simple car le mannequin doit à la fois être beau et expressif, sachant que le bijou porté est souvent sur une partie de la personne je suis au début restée perplexe. Qu’est ce qu’une main expressive ou une oreille ou un cou expressif ? Alors j’ai pris en photo ma main, celle de mes enfants puis j’ai regardé les photos de Marie et j’ai compris. Et franchement je vous invite à faire de même car vous verrez immédiatement ce que je n’arriverais pas à aussi bien expliquer avec des mots.

Ensuite il y a une sorte de notion de beauté internationale, par exemple les mains féminines qui porte des bijoux sont toutes longues et plutôt fines, les mains masculines sont carrées avec des veines un peu apparentes et pas de poil, et cela quelque soit la couleur de peau et le pays d’origine de la marque de bijoux. La raison de cette uniformité de la représentation du porté de bijoux est que l’expressivité du mannequin ne doit pas faire oublier le bijou. Par exemple, Mary dit « l’histoire de la main ne doit pas prendre la place de l’histoire du bijou ».

Photographier la peau est compliqué de façon générale, bien entendu les mannequins sont sélectionnés pour leur grain de peau et bien sûr on les maquille, mais la lumière, la nécessaire proximité pour voir le bijou et les performances des appareils font que les détails que l’œil ne voit pas sont révélés par la photo. Or tout le deal est que le regard soit concentré sur le bijou et non attiré par un autre détail. Sauf si on le souhaite.

En effet, une marque a besoin que ses bijoux soient mis en valeur sur son site internet, dans son look book, sur ses réseaux sociaux. Par contre un magazine qui fait un sujet particulier peut demander des mains âgées ou des corps tatoués, les images seront très fortes et belles bien sûr, mais l’intérêt sera réparti entre le corps et le bijou.

Dans ce cas les photographes travaillent souvent avec un directeur artistique. Son rôle est de comprendre l’identité du joaillier et de les transcrire dans un univers spécifique que les compétences techniques et artistiques des photographes traduiront en atmosphère dans leur photo. Au-delà de comprendre le travail du photographe et de lui demander de « calmer la définition » ou de « déboucher les ombres », le rôle du directeur artistique est d’aider et d’accompagner le joaillier à choisir un univers qui correspond à son identité.

Mary Erhardy pour Attitude luxe

Par exemple Yoann L’Hostellier a fait pour la marque Morphée des prises de vue entièrement différentes, le premier site de la marque montrait une atmosphère douce et délicate, puis Yoann a créé des visuels qui inscrivait les bijoux dans un tableau de nature morte comme à l’époque des cabinets de curiosité du XVIIIe et finalement Morphée a choisi pour son nouveau site un univers poétique où le blanc domine et où les bijoux ressortent dans un univers poudré et nacré. Un photographe spécialiste des bijoux est aussi un artiste, il peut créer pour le joaillier mille façons de valoriser les joyaux. Si le joaillier ne s’y connait pas, le directeur artistique fait gagner du temps à tout le monde.

Backstage Attitude Luxe avec Mary Erhardy photo Sylvie Humbert

Ainsi se termine cette histoire d’Il était une fois le bijou. Je remercie chaleureusement les photographes des bijoux Mary Erhardy et Yoann L’Hostellier de m’avoir dévoilé quelques uns de leur secrets.

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