#86 L’or liquide de Florence, la fondatrice du champagne Marguerite Guyot

By Anne Desmarest de Jotemps
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C’est bientôt les fêtes et j’ai envie de bulles et de légèreté alors je vous emmène découvrir le roi des vignes, le joyau des vins, le trésor des caves en un mot le champagne. Mais surtout j’ai rencontré Florence, une fine femme pétillante comme les cuvées qu’elle crée.

Son arrière-arrière-arrière grand père, Jean-Marie Guyot fabriquait, le vulnéraire appelé l’Arquebuse de L’Hermitage, un élixir de 33 plantes et 43 degrés destiné à soigner les blessures guerrières en désinfectant en application externe comme en anesthésiant par absorption. Puis il achète une cave qui finalement sera revendue. L’esprit du vin reste dans la famille mais la jeune Florence, elle, a envie de liberté. C’est d’ailleurs en hommage à un voyage à Florence où son père à rencontré son épouse qu’elle est prénommé du nom de cette ville. Alors elle aussi veut voyager.

Guide du routard pour tout bagage, elle atterrit au Colorado puis baguenaude de job en petits boulots de l’Arizona à la Californie, de San Diego à Las Vegas, de San Francisco à San Diego, d’Hawaï à Washington. Au bout de 2 ans elle maitrise parfaitement la langue. Elle est déjà trilingue français, italien, anglais et il lui semble que maîtriser l’espagnol serait une bonne idée. Direction Barcelone où l’univers des spiritueux la rejoint. Elle travaille pour le rhum Negrita qui lui demande de mettre en scène les cocktails. Elle imagine tout un univers de fête où on brûle même le rhum sur la plage pour souhaiter « bon vent » aux marins.

Quand l’aventure se termine, elle rentre en France. Que faire ? Son expérience de l’animation la conduit dans les salons où elle se propose comme interprète, après tout elle maitrise 4 langues ! Puis c’est la commercialisation qu’elle apprend à la dure école des expositions. Elle est payée à la commission et son patron lui inculque que la vente est toujours possible jusqu’au dernier client présent.

Et un jour tout s’aligne. C’est la journée du Champagne, organisée par le CIVC, le Comité interprofessionnel du vin de Champagne. Cet organisme créé en 1941 regroupe tous les opérateurs de la filière, et sous l’impulsion d’un blogueur américain Chris Oggenfuss a créé le Champagne Day en 2009 qui a lieu désormais l’avant-dernier vendredi d’octobre. C’est un événement, alors c’est bien ce qu’aime Florence et en plus, elle est en Italie à ce moment, c’est un signe ! Elle intègre une belle maison familiale dont elle va faire exploser le chiffre d’affaire en 7 ans. Elle développe tout un réseau de Chef étoilés et de palaces, crée des animations où musique, spectacle et plats fins se conjuguent et se fêtent. Alors quand cette mission se termine brutalement, elle décide de créer sa propre Maison. Un producteur lui fait confiance et lui cède une partie de sa production, ce sera le Champagne Marguerite Guyot, du prénom de sa grand-mère, une saltimbanque pétillante qui lui a légué le goût de la mise en scène.

Dans cette aventure, elle va allier ses racines et tout ce qu’elle a appris sur cet or liquide qui est devenu son destin.

C’est que le Champagne est profondément enraciné dans notre histoire. Ce sont les romains qui apportent les vignes quand ils envahissent la Gaule. Dans la région Champagne les conditions du climat faisait bouillonner le vin lors de la fermentation en produisant un gaz lors des gelées qui s’échappait avec plus ou moins de force lors du dégel.

Ce phénomène particulier l’inscrit très tôt dans le symbolisme du sacré. On pense d’abord à une intervention satanique, on l’appelle « vin du diable » ou « saute-bouchon » mais très vite la production devient l’apanage des moines chrétiens. Ils mettent un grand soin à la vinification, gardent soigneusement une trace de leur récolte et les développent. En 496, l’évêque de Reims baptise Clovis avec du Champagne ! Ce vin entre alors dans l’imaginaire collectif comme un don du ciel, un breuvage sacré, le symbole des moments d’exception. D’autant que lors de chaque cérémonie des rois de France à Reims, le vin de champagne est systématiquement servi jusqu’au XIXe siècle.

En 1114, la Grande Charte Champenoise rédigée par Guillaume de Champeaux, l’évêque de Chalons fonde le vignoble de champagne et lui garantit ses spécificités et son originalité. Henri IV l’adore et l’impose à Paris. Au cours du XVIIe siècle, il séduit les cours de France et d’Angleterre. Louis XIV le goûte à 16 ans et le champagne devient alors la boisson associée au luxe et à la fête.

Par ailleurs, tout est soigneusement contrôlé dans le champagne. Les critères géographiques par exemple. La loi de 1927 définit encore aujourd’hui les communes qui peuvent accéder à la prestigieuse appellation. La production ne peut venir que des 17 terroirs répartit dans seulement 4 zones situés dans la Montagne de Reims, La Côte des Blancs, la Côte des Bar ou la Vallée de la Marne où se trouve Damery, le village du champagne de Florence, une terre d’antique tradition champenoise.

L’appellation est strictement surveillée. On se souvient du parfum qui a du changer de nom en 2013 ! Le Champagne, c’est en Champagne un point c’est tout ! C’est une appellation AOC appellation d’origine contrôlée, le label qui garantit l’origine, depuis 1936 et il appartient au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2015.

Florence a créé 5 champagnes comme les 5 pétales de la marguerite qui l’a inspirée. Elle y décline les 3 seuls cépages de la famille des Noiriens que le champagne autorise.

Il y a le Chardonnay, un raisin blanc qui donne un vin frais et délicat. Florence lui a dédiée la cuvée Séduction avec l’étiquette Marguerite Blanche en symbole de pureté.

Il y a le pinot noir, profond comme un grenat pyrope, qui est un raisin noir à pulpe incolore. Il donne un champagne blanc car les peaux n’ont pas le temps de teinter le jus lors du pressurage. Florence a créé avec ce cépage une marguerite rouge, qu’elle a appelée la cuvée Passion.

Et il y a le Meunier, un autre raison noir mystérieuse comme un spinelle incarnat, un peu plus tardif que le pinot noir et plus fruité. Le village de Damery est en plein milieu des cépages de Meunier. Florence lui a dédiée la cuvée Désir, plus charnelle et lui a décerné un pétale vert.

Par rapport à la fabrication d’un vin, l’élaboration du champagne présente 7 caractéristiques : cueillette manuelle, pressoir spécifique, assemblage, deuxième fermentation en bouteille, remuage, dégorgement et dosage, et un temps de maturation minimum.

La cueillette manuelle permet la sélection des raisins. Pas question qu’un grain soit trop mûr à la différence des vendanges tardives qui forment des vins plus liquoreux.

En ce qui concerne le pressurage, chaque cru est identifié selon la date et l’heure de la cueillette. Chaque pressurage est effectué de façon distincte pour préserver au maximum la traçabilité de leur origine et permet de créer des marcs homogènes issus du même cépage et de la même parcelle. C’est très surveillé et les centres de pressurage sont agréés.

Pour obtenir un Champagne rosé, c’est avant cette étape du pressurage qu’on laisse macérer les raisins à peaux noires, préalablement égrappés, pendant 24 à 72 heures en cuve pour donner au jus cette couleur si tendre allant de la morganite à la rubellite.

Après c’est l’étape de la fermentation, commune à tous les vins, les tranquilles comme les pétillants, en cuve. D’habitude, cette première fermentation dure 15 mois, Florence préfère les laisser « dormir en cave », c’est ce qui donne une vraie maturité à sa production. Mais ce qui différencie le Champagne, c’est la double fermentation qui se passe en bouteille. C’est ce qu’on appelle la méthode champenoise.

Mais avant cela il y a l’étape cruciale de l’assemblage. Il s’agit de créer un cru sublimé par différents cépages, comme un chef d’orchestre installe une harmonie entre ses différents instruments. Pour la Marguerite Or, Florence a assemblé dans cette cuvée Extase, des Chardonnay sélectionnés sur trois villages Grand Cru : Chouilly, Cramant et Oger. C’est un Blanc de Blanc, parce qu’il ne contient que des raisins blancs. Et il est Millésimé ce qui veut dire, suivant le Comité Champagne, « qu’il conserve l’expression unique d’une année remarquable » comme chaque diamant.

Pour sa Marguerite rose, à la précieuse couleur padparadscha, Florence a assemblé 30% Pinot Noir, 30% Chardonnay, 30% Pinot Meunier et 10% de Coteaux Champenois, un Pinot Meunier affiné en fût de chêne. Un vrai bouquet que Florence a nommé Fleur de Flo.

Après l’assemblage, il y a la 2e fermentation en bouteille, la particularité du Champagne. Les bouteilles sont alignées et gentiment inclinées la tête en bas de 24 à 36 mois. Florence les laisse 5 ans. Doucement les dépôts naturels retombent dans le goulot. Et tous les jours on tourne les bouteilles d’un quart de tour. C’est le remuage. C’est comme ça que le champagne fabrique ses jolies bulles et mature sont goût.

Lors de l’étape suivante, on enlève les dépôts. Pour cela on gèle brièvement le col de la bouteille, on décapsule et les impuretés emprisonnées sont enlevées d’un geste vif qu’on appelle dégorgement. Alors il manque un peu de liquide pour remplir la bouteille. Pour combler, on rajoute « la liqueur ». C’est un vin de réserve qui va donner la personnalité au champagne. En Champagne, chaque année, depuis 1938, une partie de la vendange présentant un bon potentiel d’évolution, est conservée par les vignerons ou les Maisons. C’est cela qu’on appelle « les vins de réserve ». Ils sont associés au vin de l’année en cours et suivant leur stockage, ils offrent souvent des arômes et des saveurs particulières qui complexifient la création de la nouvelle cuvée. Bien entendu, les vins de réserve utilisés pour le champagne doivent être de même nature que celui utilisé dans la bouteille. Cette dernière opération est très importante car elle joue sur toutes les nuances des saveurs et des arômes et détermine le goût du Champagne comme une signature unique, un vrai poinçon de Maître.

Après on attend généralement 3 mois pour que la liqueur se fonde bien dans le champagne avant de leur coller son étiquette et de le commercialiser. Florence attend 9 mois, elle trouve qu’il faut bien se temps pour que les saveurs s’harmonisent, que le champagne ne soit pas trop « masculin » et pour que comme elle dit « les papilles s’éclatent ».

Mais avant de faire la fête, le champagne met ses habits de soirée. Après le dégorgement, on enfonce par compression le fameux bouchon de liège écrasé au bout qui lui donne sa forme de champignon. Ce bouchage en force permet de s’assurer qu’il ne sautera pas avant que vous l’ayez décidé. Puis on met le muselet, cette plaque en fer-blanc maintenue par du fil de fer préformé. C’est une invention du docteur Jules Guyot brevetée en 1844. Le muselet est devenu le bijou du champagne. Ses collectionneurs passionnés se retrouvent sous la dénomination de placomusophilie.

Et enfin la bouteille s’enroule dans son étiquette. Florence s’est inspirée du tableau « la femme à la marguerite » d’Alphonse Mucha en dédicace à sa grand-mère, a imaginé une écriture inspirée de Mozart en référence au spectacle, et a choisi une forme de mongolfière en souvenir de ses voyages. Le tout figure un pétale. Ensemble, ses 5 cuvées forment la fleur entière de Marguerite, un prénom d’origine grecque, dérivé de « Margarita », qui veut dire « perle ».

Maintenant, il ne reste plus qu’à savourer. Et avant de goûter cet or liquide choisissez bien votre verre. La coupe est aujourd’hui boudée par les œnologues qui lui reprochent par sa grande surface d’accélérer le dégazage et de perdre les arômes. Pourtant, je garde une tendresse infinie pour ce verre qui aurait, dit-on, été moulé sur le sein gauche parfait de Madame de Maintenon la favorite de Louis XV. D’autres prétendent que ce serait sur celui de la reine Marie-Antoinette l’épouse de Louis XVI ou encore celui de la princesse Pauline Borghèse la sœur préférée de Napoléon. Qu’importe au fond, j’adore cette légende.

Pour admirer la longue remontée des bulles, il faut une flute. Personne ne sait ce qui l’a inspiré. Mais on sait que ce sont les anglais qui ont créé ce verre long et étroit de col vers 1750 justement pour déguster à petites gorgée ce vin pétillant. Il y a aussi le Pomponne, un verre sans pied devenu l’emblème de l’Ordre des Coteaux de Champagne qui se tient par un anneau, une boule ou une olive en verre. Aujourd’hui, les vrais amateurs dégustent ce breuvage 24 carats dans un verre spécialement conçu pour accueillir le « vin des sacres », le plus chic est de le tenir avec art par la jambe.

Pour ouvrir votre précieuse bouteille vous pouvez tout en délicatesse ôter le bouchon avec le « plop » annonciateur de la fête ou carrément sabrer la bouteille. L’année qui vient s’annonce, dans toutes ses incertitudes comme ses promesses, mérite bien ce baptême au Champagne.

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