Aujourd’hui nous commençons à pouvoir tomber le masque. Nous l’avons subi, nous avons cru à son devoir de protection, nous l’avons porté et parfois détesté. Un petit retour dans l’histoire et l’art permet de comprendre la charge émotionnelle liée au masque qui pourtant est presque universelle.
Roger Caillois, écrivait déjà en 1958 dans Les Jeux et les Hommes : « Il n’est pas d’outil, d’invention, de croyance, de coutume ou d’institution qui fasse l’unité de l’humanité, du moins qui la fasse au même degré que le port du masque ne l’accomplit et ne la manifeste. »
Cependant le masque n’est jamais neutre. Il incarne une nature duale. Il révèle nos peurs, nos croyances, nos émotions. Il cache notre nature, notre fragilité, nos angoisses.
Le masque lui-même est multiple. Il est funéraire ou de théâtre, il est intercession auprès des dieux ou révélateur de l’autorité, enfin il est prophylactique. Mais toujours le masque est lié à l’art : comme il présente un autre soi, il fait l’objet d’une confection soignée, artistique et les masques qui nous protègeaient du covid n’échappaient pas à ce mouvement créatif.
Depuis la nuit des temps, les masques funéraires ont le pouvoir de garantir la vie
Dans les anciennes civilisations, le masque funéraire est une pratique commune. Egypte, Grèce, Afrique, Asie, Océanie, Amérique précolombienne… Toutes ont le même usage du masque comme protecteur de l’image de la vie. Les matériaux peuvent être différents du plus précieux en or au plus simple en plâtre ou carton peint. Mais tous sont façonnés et décorés avec un soin extrême. Leur création et leur ornement peuvent même faire l’objet de recommandations particulières dans le Livre des morts.
Par exemple le fameux « masque d’Agamemnon » dont les scientifiques sont maintenant sûrs qu’il n’était pas celui du grand roi est daté précisément de 1500 avant Jésus-Christ. On ne peut que s’émerveiller du délicat travail d’orfèvrerie dans la représentation du visage. La moustache, la barbe et les sourcils sont délicatement gravés en ronde-bosse sur une plaque de 168,5 grammes d’or pour 25 sur 17 cm. Découvert par Heinrich Schliemann en 1876, il est visible au musée national d’archéologie d’Athènes.
Pour le masque funéraire de Toutankhamon du XIVe siècle avant Jésus-Christ, exposé au musée du Caire, c’est 10,32 kg d’or massif qui ont été utilisé. Il arbore tous les symboles du pouvoir et de la protection : la coiffe Nemès, la barbe tressée, le collier Ousekh, les têtes de faucon Horus, le vautour Nekhbet et le cobra Ouagjet. Le travail de l’or est remarquable par son martelage comme ses ciselures et la finition est brunie. Y sont inscrustées des pierres fines comme des gemmes dures (turquoise, obsidienne, cornaline, lapis-lazuli, amazonite, quartz…) auxquelles s’adjoint un merveilleux travail de la pate de verre. Des hiéroglyphes inscrits à l’intérieur du masque renforcent encore la protection dont l’objet est largement doté.
En ce qui concerne l’Afrique, leurs masques ont pour mission de révéler la face divine.
La richesse artistique des masques africains se caractérise par deux styles nettement différents. Un style cubiste (au Soudan par exemple) où dominent les formes géométriques et qui a largement inspiré l’Europe des années 40 qui s’oppose à un style plus naturaliste (au Bénin). La fonction du masque est de rendre visible l’invisible et de s’allier les forces qui l’entourent. Ainsi, le masque que nous appréhendons comme une sculpture est avant tout destiné aux cérémonies rituelles, sociales et religieuses.
Chaque type de masques a une signification car avant tout son rôle est de transcender le porteur. Dans les cérémonies d’initiation le porteur du masque devient un intermédiaire entre les dieux et les hommes. Les responsables politiques se parent d’un masque précis pour donner leurs sentences. Les responsables religieux portent un masque pour protéger l’agriculture des désastres de la météo. Et dans le cadre festif, chaque masque porté, incite à un délassement comme le chant ou la danse. Au-delà de sa richesse artistique, le masque africain a pour mission de faire disparaitre l’humain qui intercède alors pour tous les autres vivants.
Dans l’ancienne Venise, le masque a pour objet de préservé un incognito largement débridé.
L’anonymat donné par le masque était bien acceptée et on se masquait couramment pour vaquer à ses occupations en toute discrétion. Puis l’habitude s’est prise entre le VIe et le Xe siècle de se masquer et de se grimer pour une célébration débridée avant les privations du Carême. La fonction des masques était alors de pouvoir s’autoriser toutes les folies et de gommer, un court moment, les différences sociales. Le Carnaval était donc une parenthèse offrant une soupape sociale.
La fabrication des costumes de carnaval vénitiens, entrent dans la catégorie des savoirs faire d’excellence. Car ces déguisements issus de la Commedia Dell’Arte comportent une tenue et un masque précis, très codifiés. La Bauta se compose d’un tricorne, une cape et un masque carré blanc qui permet de boire et de manger. L’Arlequin était à l’origine un serviteur pauvre au costume rapiécé dont le rival en amour est Pierrot qui porte la Moretta. Colombine incarne l’éternelle amoureuse et porte un Loup. Le polichinelle, vêtu de blanc est venu plus tardivement de Naples et représente un valet d’origine paysanne rusé et grossier avec un masque en bec de corbin. Le Capitan au long nez porte fièrement l’épée et représente un soldat ou un médecin et lui aussi dispose d’un masque au long nez crochu.
Le masque prophylactique existe depuis longtemps.
En effet, ces derniers masques des carnavals de Venise s’inspirent du costume et du masque des médecins de la peste. On attribue ce costume à Charles de Lormes, le médecin de Louis XIII et son frère Gaston de France. Il se compose d’un manteau recouvert de cire parfumée, d’une culotte reliée à des bottes, la chemise est rentrée dans la culotte. Un chapeau, des lunettes, des gants en cuir de chèvre et une baguette pour toucher les malades complète l’accoutrement.
Le masque en forme de bec allongé était rempli de thériaque, ce contrepoison est considéré à l’époque comme le plus efficace. Il est composé de plus de 55 herbes médicinales, de poudre de peau de vipères, de cannelle, de myrrhe et de miel dont la recette venait de la Rome antique. On ne connaissait pas la contagion entre humain et on supposait alors que l’air était rempli de miasmes. C’est pourquoi la forme allongée du masque permettait aux herbes bienfaisantes de purifier l’air avant que celui-ci n’atteigne les narines et les poumons des soignants. Le masque en protégeant, désigne à tous la condition de médecin et donc potentiellement celui qui apporte le souffle du danger.
Aujourd’hui on sait que la covid se transmet par l’expiration des personnes aussi le masque constitue à la fois une protection et une véritable barrière entre les individus. Effaçant les expressions du visage, emprisonnant le souffle et étouffant les paroles, il dresse une barrière sociale en désignant chacun d’entre nous comme un risque pour les autres. Mais c’est aussi un signe de respect car en portant le masque on protège les autres, il devient alors signe d’humanisme.
Alors on a vu fleurir des masques amusants, décoratifs, artistiques. Qu’ils soient créés par une artiste textile ou imprimés d’un tableau de maitre. A l’extrême de cette expression artistique le joaillier new-yorkais Jacob & Co, connu pour ses créations joaillières débridées a créé le Diamond Face Mask.
Un masque de 3 040 diamants blancs soit 73 carats au total, reliés entre eux par une maille en or blanc 18 carats de 156,0 grammes. Pur objet d’art joaillier, il n’est absolument pas protecteur et est destiné à masquer le « vrai » masque de protection pour la somme de 250 000 $.
Quand au joaillier israélien Isaac Levy de la marque Yvel, il a réalisé un masque joaillier extraordinaire à la commande spéciale d’un de ses clients, richissime, collectionneur et excentrique. Ce chinois résidant aux Etats-Unis lui a donné carte blanche, aucune limite financière et 6 mois pour obtenir le masque protecteur le plus cher du monde.
Equipé d’un filtre de haute protection N99 et serti de 3608 diamants noirs et blancs pour un total de 210 carats, ce bijou prophylactique est en or 18 carats de 250 grammes. Le joaillier le juge doublement protecteur puisque sa réalisation a mobilisé une équipe de 25 bijoutiers ce qui lui a permis de conserver les emplois de ses salariés. Ce défi artistique et presque mécénique a été estimé à 1,5 million de dollars.