Le vêtement est un marqueur social. Depuis toujours et la chaussure se voit alors on la distingue. Pendant longtemps elle est unisexe. Mais elle est signifiante. Les sandales des pharaons, avaient des lanières en or. A Rome, seuls les citoyens portent des chaussures.
Au XVII, la chaussure devient un élément primordial de la vêture. A partir de 1610 pour les messieurs comme pour les dames, le soulier est à talon. Comme le soulier masculin se voit on soigne l’attache, on met des rubans et pas de simples lacets, on forme des boucles particulières, souples en accumulée « en petite oie » ou simple et large dite en « aile de moulin » qui doivent rester bien droite.
La boucle de soulier apparait vers 1660. Avec ou sans ardillon, elle a pour fonction de faciliter la fermeture rapide des pattes de quartier sur l’empeigne. Evidemment de pratique, elle devient un enjeu décoratif.
Au début du XVIIIe elle est franchement à la mode. C’est l’époque de Louis XIV et chacun sait que le roi Soleil avait bien défini la richesse dont il entendait que ses sujets soient parés pour être admis à la Cour. Et il interdit les bottes sauf pour chevaucher. La confection de la chaussure devient un savoir faire. Les cordonniers sont réunis en corporations et Nicholas Lestage est reconnu comme Le cordonnier de Louis XIV.
La chaussure ou plutôt le soulier, se voit. Louis XIV lance les talons rouges pour les hommes. Les hommes portent le soulier élégant, c’est ce qui va avec leur bas, leur culotte et le justaucorps. Les boucles finissent le soulier. A Versailles, elles sont une obligation : ceux qui n’en ont pas, s’en font prêter par leur parenté ou leurs amis.
Ce sont de véritables joyaux qui s’offrent en coffret. Elles sont en argent ou en or. Celles en acier plaisent aussi, elles viennent d’Angleterre et à partir de 1760 elles sont au même prix qu’en métal précieux : le prix de la mode et de la modernité. Pour la soirée, les bals et autres cérémonies elles comportent des pierres précieuses et des diamants.
Quand on est en deuil, les boucles le sont aussi. Elles ne peuvent être brillantes. On ôte les pierreries, L’argent est noir, et l’or bronzé.
Dans les coffrets, il y a quelque fois 4 boucles. 2 sont pour les souliers, et les 2 autres, assorties, servent à serrer la culotte aux genoux. Mais on peut aussi assortir ses boucles de souliers avec ses boutons.
C’est à ce moment qu’un joaillier alsacien, Georges-Frédéric Strass, invente une copie de diamant que tout le monde appellera le Strass. Le succès de ces faux est tel qu’il entraine la création d’une nouvelle corporation qu’on appellera les « joailliers-faustiers ». Et en 1734 Georges-Frédéric Strass est nommé joaillier du Roi. Du coup les boucles de souliers se couvrent de strass.
A partir de 1775, c’est la mode de « boucles d’Artois » en hommage au comte d’Artois, qui est le plus jeune frère de Louis XVI, le futur Charles X et qui est un dandy on dit alors un « mirliflore ». Ces boucles d’Artois ont la particularité d’être très large, elles couvrent tout le cou-de-pied. Ce qui veut dire aussi qu’elles sont très inconfortables. D’une part elles peuvent blesser la cheville en marchant et d’autre part comme certaines frôlent le sol, les élégants marchent les jambes écartées.
De l’autre côté de la Manche, en 1780, George Auguste Frederick, prince de Galles, futur George IV lance la mode des boucles de soulier qui porteront son nom dans un esprit de rivalité, d’élégance, avec le comte d’Artois. Ces boucles, longues de 12 cm pour 3 cm de largeur, font fureur dans le « beau monde » anglais à la fin du XVIIIe siècle.
Malgré la modernité et l’engouement du strass, le diamant reste bien sûr la gemme de prédilection des plus aisés, y compris pour les boucles de souliers. En 1788, Louis XVI fait réaliser une paire de boucle de soulier comportant 80 diamants identiques, taillés en brillants, pesant chacun plus d’un carat. En euros cette paire de boucle de souliers aurait couté 400 000 euros.
A la révolution la boucle de soulier est dénoncée comme « ornement superflu qui désigne un aristocrate, ou un égoïste au cœur de bronze ». Un argument qui oblige à se séparer de ses boucles pour sauver sa tête. Et en 1792, comme l’Etat réquisitionne tout le métal pour participer à l’effort de guerre, ceux qui envoient leur boucle de soulier dans un geste civique reçoivent en échange des boucles carrées, de fer ou de laiton, avec une inscription qui les félicite.
La conséquence : les marchands de boucles n’existent plus. Les joailliers ne sont plus sollicités pour ce bijou aujourd’hui oublié sauf de la part d’irréductibles collectionneurs.