#43 Les pierres gemmes opaques

By Anne Desmarest de Jotemps
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Il était une fois les pierres gemmes opaques. Dans le droit français, on parle de « pierres gemmes » pour être concordance avec la nomenclature de la CIBJO2 (commission internationale bijouterie, joaillerie, orfèvrerie) qui ne fait pas de différences entre les pierres précieuses, les pierres fines et les pierres gemmes opaques qu’on appelle aussi ornementales. Cependant les différences existent en fonction de leur rareté et surtout de l’amour qu’on leur porte. Pour les pierres ornementales, cette considération a d’ailleurs considérablement variée dans le temps.

Dans l’Antiquité, pierres précieuses et ornementales ont même valeur

Depuis le monde antique, les gemmes font l’objet d’un commerce couvrant l’ensemble de la planète. Les pierres précieuses, fines et ornementales ont toutes été un facteur important dans la constitution des civilisations en raison des contacts humains qui accompagnaient leur prospection et leur commerce. Les pierres ornementales revêtaient la plus grande importance probablement en raison de leur couleur. Le lapis-lazuli d’Afghanistan, la turquoise du Sinaï, la cornaline, l’amazonite, l’hématite, les agates et les jaspes, l’obsidienne étaient parmi les pierres les plus recherchées. Elles servaient à la fabrication de sceaux, d’amulettes ou encore de plaquettes incrustées dans les bijoux en or cloisonné datant du milieu du IIe millénaire.

collier Egypte antique
collier Egypte antique

Les égyptiens de l’antiquité ont utilisé l’or les pierres qui avaient pour eux une symbolique précise. L’Or signifait le soleil, le lapis lazuli incarnait le ciel ; la malachite et la turquoise verte symbolisait la végétation tandis que la cornaline de couleur orange incarnait la terre. Les bijoux étaient portés autant par les hommes que par les femmes, et au sein de toutes les classes sociales et témoignent de la symbolique de l’ancienne Egypte : l’oeil d’Horus, Ankh le symbole de vie, le scarabée qui tient entre ses pattes le disque solaire, … Les pierres ornementales sont celles que l’on a retrouvées, elles incarnaient ce qui était précieux.

antic roman jewel - Christie's New York
antic roman jewel – Christie’s New York

La joaillerie romaine antique s’inspire en grande partie des Étrusques notamment par les techniques du travail sur l’or comme la granulation et le filigrane. Comme l’Empire romain par ses conquêtes incessantes couvre un très large territoire de nouvelles matières premières apparaissent dont les pierres précieuses donc transparentes. Les pièces de joaillerie deviennent de plus en plus spectaculaires. Au point qu’au cours de la deuxième guerre punique est votée une loi, la Lex Oppia, qui punit d’une forte amende les femmes arborant trop de bijoux ou des vêtements de couleur, afin d’investir dans la guerre l’argent ainsi économisé. En 195 avant J.C., les femmes, furieuses, descendent manifester dans la rue : la loi est abrogée.

collier ambre et filigrane - art Etrusque
collier ambre et filigrane – art Etrusque

La joaillerie romaine mélange toutes les gemmes : les perles sont combinées à des émeraudes ou des péridots d’Égypte, ou encore des cornalines, jaspes, lapis-lazuli ou onyx de Perse. Cependant, la pierre précieuse favorite des Romaines reste l’ambre – au point qu’il existe une « route de l’ambre », acheminant cette gemme depuis Gdansk, épicentre de la production, jusqu’à Rome même. Vers la fin de l’Empire, on rencontre aussi des gemmes venues d’Extrême-Orient, comme le saphir ou la topaze, importées d’Inde ou du Sri Lanka. Bien souvent, les gemmes sont conservées brutes, et non pas polies ou taillées.

Ainsi dans l’antiquité, les pierres précieuses et ornementales peuvent avoir des valeurs semblables. A cette époque le diamant n’est pas prisé. Surement parce que la technique de sa taille ne permet pas de mettre en valeur ses feux.

Le Moyen Age préfère les pierres précieuses

Charlemagne a pour ambition d’être empereur. Son idée est de christianiser. Son célèbre Talisman est un saphir blanc contenant un vrai morceau de la croix. Pour son sacre le 25 décembre 800 à Saint Pierre de Rome sa couronne comporte des camées qui montrent ainsi sa filiation avec les grands empereurs romains et s’orne du fameux Orphanus probablement une grosse opale ou d’une escarboucle. A cette époque, le rubis et le saphir restent rares. C’est donc au Moyen Age qu’une primauté de goût envers les pierres fines et précieuses se dessine.

talisman de Charlemagne
talisman de Charlemagne

Par la suite ce mouvement s’accentue. La couronne de Saint louis montre la primauté des pierres précieuses 48 pierres précieuses la compose : spinelles, émeraudes, saphirs, rubis et perles.

couronne dite de Saint Louis - XIIIe siècle - RMN
couronne dite de Saint Louis – XIIIe siècle – RMN

Et La collection des joyaux de la Couronne constituée par François Ier accentue encore cette habitude. D’ailleurs les huit pierres colorées qui constituent ces premiers joyaux de la couronne sont appelées à cette époque « diamants »  qui est alors un terme générique pour désigner toutes les belles pièces. Et la monarchie sera ainsi fidèle jusqu’à la fin aux pierres précieuses : la Couronne en or de l’Impératrice Eugénie, exécutée par Gabriel Lemonnier en 1855, comprend 56 émeraudes, et 2 490 diamants.

L’Art nouveau relance l’amour des pierres ornementales

C’est l’Art Nouveau français qui réintroduit le goût pour les pierres ornementales. Ce court moment de l’art décoratif  que dure à peu près de 1895 à 1910 constitue une période phare de renouveau et plus particulièrement visible dans le domaine de la bijouterie.

Charles Boutet de Monvel

Ses thèmes favoris, de la femme, la flore et la faune, et ses formes en courbes et contre-courbes favorisent les innovations. L‘art Nouveau en joaillerie se caractérise par l’emploi de nouveaux matériaux qui bouleverse la hiérarchie des gemmes. Le dessin artistique règne. L’importance centrale du bijou n’est plus donnée à la pierre sertie. Les diamants sont parfois relégués à un rôle annexe en combinaison à des matériaux moins habituels comme le verre modelé, l’ivoire, la nacre, la résine, les écailles de tortue, le bois exotique et la corne. On utilise l’émail cloisonné ou le verre. Les joailliers sont Lalique, Falize, Fouquet, Vever et Lucien Gaillard, Edmond Henri Becker, Charles Boutet de Monvel, Paul Follot …

Lalique
Lalique

Dans les années 1920, sous l’influence des Ballets russes, les joailliers (grande marque comme Cartier, ou créateurs comme Gérard Sandoz) réintroduisent dans leurs bijoux l’onyx et le cristal, le jade vert, la cornaline orange, le corail, le lapis lazuli en même temps que les émeraudes, saphirs et rubis.

Gérard Sandoz
Gérard Sandoz

Les années 30 voient l’apparition de nouveaux artistes en joaillerie : Jean Després, Jean Fouquet, Gérard Sandoz, Raymond Templier, Jeanne Boivin, Suzanne Belperron. Comme ils créent des bijoux épurés, géométriques ou démesuré ils choisissent des matériaux plus abordables comme l’acier ou le palladium, et des pierres fines moins coûteuses – améthyste, topaze, citrine – et sculptent directement dans le cristal de roche et les pierres ornementales dures.

Clip cristal de roche, émeraudes, émail et diamants, dessin de Suzanne Belperron, par René Boivin - vente Christie's
Clip cristal de roche, émeraudes, émail et diamants, dessin de Suzanne Belperron, par René Boivin – vente Christie’s

Les années 40 sont marquées par la première guerre mondiale. On utilise les contingences matérielles : l’or rose devint rouge car on mettait plus de cuivre, on crée des broches importantes avec des aigues marines, des citrines, c’est-à-dire des pierres transparentes qui brillent et qui permettent de faire du volume, car si les routes de l’Asie sont coupées par la guerre  en revanche le Brésil fournit les citrines, les aigues marines, des topazes, des tourmalines.

Jean Desprès - aigue marine - Aguttes
Jean Desprès – aigue marine – Aguttes

La joaillerie des années 1960 est marqué par la façon de Jean Vendome, d’utiliser des pierres fines jusqu’ici négligées par la place Vendôme : le quartz à aiguilles de rutile, le quartz fantôme ou encore la tourmaline remplie de givres qu’il mélange à d’autres matériaux non précieux comme les pinces de crabes par exemple.

Jean Vendome, bague-pendentif, 2002, or blanc, or jaune, diamants, quartz rutilé étoilé. Collection privée. Photo Benjamin Chelly. Il
Jean Vendome, bague-pendentif, 2002, or blanc, or jaune, diamants, quartz rutilé étoilé. Collection privée. Photo Benjamin Chelly. Il

Et dans les années 1970, l’utilisation des pierres ornementales, choisies pour leur couleur correspond à une nouvelle conception du bijou précieux qui se veut « portable » et inspiré par l’exotisme : malachite, œil-de-tigre, turquoises et lapis-lazuli, se mêlent avec émeraudes et diamants en contrepoint lumineux.

Alhambra - Van Cleef & Arpels - Vintage
Alhambra – Van Cleef & Arpels – Vintage

Aujourd’hui les pierres ornementales, fines et précieuses se mélangent

Aujourd’hui, l’habitude de mélanger les pierres ornementales, fines et précieuses ne choquent plus. La haute joaillerie continue bien sûr d’utiliser les pierres précieuses dans une optique de rareté donc en sélectionnant des pierres d’exception, mais celle-ci-peuvent s’étendre aux pierres fines, si la taille en fait pardonner l’origine.

Par exemple quand Victoire de Castellane arrive chez Dior, elle consacre l’usage des pierres fines : citrine jaune, morganite rose pâle, améthyste violette, et sculpte les pierres ornementales comme la sugilite mauve en tête de mort qu’elle juxtapose aux diamants et aux émeraudes.

Victoire de Castellane - Kings and Queens collection - Dior
Victoire de Castellane – Kings and Queens collection – Dior

Récemment la Maison Djula s’est adonné avec bonheur au même exercice dans sa collection Unique By Djula où les symboles de la marque comme le soleil, le serpent et l’œil s’entremêlent de diamants et de pierres ornementales. Mélangeant les valeurs traditionnelles à celle de l’individualité, ces bijoux expriment ainsi une spiritualité qui nous emporte dans les mystiques antiques.

La labradorite aux teintes de scarabée réveille l’Egypte pharaonique, la turquoise veinée de l’Arizona évoque le miroitement de la mer Egée, le lapis lazuli est gravé d’un dragon chinois, le corail et le palmier fossilisés ressuscitent les hommes des premières ères.

lapis lazuli et diamants chez Djula
lapis lazuli et diamants chez Djula

Pour la maison Pomellato la collection Rittrato créée pour les 50 ans de la marque a précédé la collection Armoni Minérali où à chaque fois les pierres ornementales enchantent par la profondeur de leur couleur et hypnotise par l’intensité de leur graphisme naturel : les arbres de l’agate dendritique, les méandres de la malachite, les veines des jaspes ou encore les anneaux dentelés de la rodochrosite.

Ces pierres ornementales sont retenues par 2 griffes ou une ceinture de pierres précieuses, ton sur ton, comme un clin d’œil désinvolte en pierres qui se savent être les tableaux abstraits d’une nature à la fois tellurique et raffinée.

Pomellato - Rittrato - quartz rose
Pomellato – Rittrato – quartz rose

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