Tout commence avec une prophétie, celle d’Ezéchiel : « le ciel s’ouvrit et je fus témoin de visions divines…Au centre, je discernais quelque chose qui ressemblait à quatre êtres vivants ». Ces 4 figures des quatre vivants sont appelées Tétramorphe et avant la Bible et la description de l’Apocalypse, elles existaient déjà en Egypte, à Babylone et en Mésopotamie mais on ne va pas chipoter la vision d’un prophète.
Toujours est-il qu’au IIe siècle, saint Irénée identifie ces quatre vivants aux évangélistes Mathieu, Marc, Luc et Jean.
Et comme le tétramorphe est également un symbole de l’humain, l’association de ces mythes fait que :
- l’aigle, symbole de l’âme est attribué à Saint Jean.
- le taureau, symbole du corps et des forces est attribué à Saint Luc,
- l’ange qui symbolise l’esprit, et les pensées est attribué à Saint Matthieu,
- et le lion symbole du cœur et des passions est attribué à Saint Marc.
Saint Marc, le lion
Le lion qui symbolise saint Marc, n’est bien entendu pas un lion ordinaire, il est ailé pour signifier l’élévation spirituelle et surmonté d’une auréole qui montre sa sainteté.
L’assimilation du lion à Saint Marc est renforcée par l’un des premiers versets de son évangile qui évoque le désert d’où retentissent justement les rugissements du lion.
Avant d’être saint, Marc serait né, trois ans après Jésus, à Cyrène dans la Libye actuelle qui était à l’époque romaine. Son nom d’origine serait Jean et Marc son surnom romain. Il était l’intendant des noces de Cana où Jésus a réalisé son premier miracle. Puis il accompagne Pierre à Babylone, suit Barnabé et Paul à Chypre avant de retourner à Rome avec Pierre. Enfin, il quitte l’Italie pour l’Egypte où il fonde l’Eglise d’Alexandrie et y meurt en martyr le 25 avril 68 ou 75. Il est enterré dans une petite chapelle de Bucoles en Égypte.
La légende raconte qu’au cours de ses voyages quand il aborde, ou fait naufrage suivant les textes, dans la lagune de Venise, un ange lui apparait et lui déclare : « Pax tibi Marce, evangelista meus. Hic requiescet corpus tuum. », ce qui veut dire « Que la paix soit avec toi, Marc, mon évangéliste. Ici, ton corps va reposer ».
Venise la Sérénissime
Venise aurait été fondée le 25 mars 421 par des réfugiés des hordes Hunniques ou bien en 568 par des réfugiés des invasions Lombardes. En bref au VIe siècle, elle appartient à l’empire byzantin et s’autonomise avec le 1er doge Paolo Lucio élu en 697 ce qui met fin à la souveraineté de Ravenne. Puis elle annexe le Nord de l’Italie, l’Istrie, la Dalmatie, les bouches de Cattaro, l’Albanie vénitienne, les Iles Ioniennes, la Crète, l’Eubée, Chypre et quelques autres îles grecques.
Quand elle n’est pas en guerre, Venise développe l’exploitation du sel, surtout commerce et se taille une place incontournable dans les échanges économiques entre l’occident et l’orient méditerranéen, byzantin ou musulman.
Venise est devenue une thalassocratie, c’est-à-dire une puissance politique fondée principalement sur la domination de la mer. On la nomme Sérénissime car le titre « République Sérénissime » désigne la souveraineté de la république.
En 826, le 11e doge de Venise, Giustiniano Participazio, trouve que saint Théodore, patron de la ville n’est plus à la hauteur de ses ambitions et ne peut rivaliser avec Rome et son saint patron l’apôtre Pierre. Il veut lui aussi un apôtre comme Saint patron. Alors il envoie 2 marchands vénitiens Bon da Malamocco et Rustico da Torcello dérober les reliques de saint Marc en Egypte. Pour accentuer le rocambolesque, la légende voudrait que ces marchands-mercenaires d’un nouveau genre auraient mis les restes de saint Claudien à la place de ceux de saint Marc dans la chapelle de Bucoles et transporter les reliques de Marc dans des paniers sous des feuilles de chou et de la viande de porc pour tromper les autorités portuaires musulmanes.
C’est donc le 31 janvier 828 que le doge reçoit les restes de Marc entreprend aussitôt la construction de la Basilique saint Marc sur l’emplacement de la chapelle privée du palais des Doges de 829 à 832.
Cette construction disparaitra dans un incendie en 976, à la suite de la révolte des Vénitiens contre le 22e doge Pietro IV Candiano. Elle sera reconstruite vers 1060 ou 1063 par le 30e doge Domenico Contarini mais les reliques sont alors perdues ! Heureusement elles sont miraculeusement retrouvées le 25 juin 1094 et placées dans un sarcophage dans la crypte de la nouvelle basilique puis sous le maître-autel au XIXe siècle et le 25 juin devient un jour de fête nommé « Inventio Sancti Marci ».
Bien sûr les coptes réclament le retour de Saint Marc, alors pour apaiser les relations internationales, le pape Paul VI décidera en 1968 de restituer les reliques à l’Egypte. Mais il s’agirait d’une relique de contact c’est-à-dire d’une étoffe qui a été mise en contact avec la tombe du saint qui est aujourd’hui sous l’autel de la cathédrale Saint Marc du Caire alors que les reliques de Marc seraient restées à Venise confirmant ainsi la déclaration de l’ange à Marc.
Les Lions de la Sérénissime
L’arrivée du Saint permet à l’Etat de Venise d’affirmer une puissance politique face à Rome et elle s’empresse de l’affirmer en se servant de son symbole, le lion.
Le drapeau de Venise rouge et jaune représente ainsi le lion de Saint marc avec sur son côté 6 franges qui représentent les 6 quartiers historiques de Venise. Le Lion tient un livre où est inscrit la fameuse déclaration de l’ange « Pax tibi Marce, evangelista meus. Hic requiescet corpus tuum » et brandi une épée. Les représentations évoluent au cours du temps : le livre est fermé en période de guerre ou représente le savoir en période de paix et est donc ouvert, quelque fois le lion brandit l’épée de guerre ou tient l’épée de justice.
En tout cas le lion ailé a pris une signification religieuse et politique de puissance et de majesté.
A l’entrée symbolique de la ville, les deux colonnes de la Piazzetta sont surmontées des statues du lion de saint Marc et de saint Theodore. Et le lion se retrouve ainsi à de nombreux endroits de la ville.
En 1516, le peintre Carpaccio représente le puissant lion ailé à demi sur l’eau et sur la terre ferme pour symboliser la domination de la Venise sur ces 2 éléments. Ses ailes protègent les navires marchands qui sortent de l’Arsenal pour conquérir le monde. Sa tête, auréolée, est à la hauteur de la Piazza et du Palais des Doges c’est-à-dire à celle des symboles de la puissance de Venise. Et bien sûr il tient le livre où la déclaration de l’ange justifie à la fois sa présence et le comportement de l’Etat.
Le Lion symbolise tellement la sérénissime que Napoléon Ier s’en empare.
En effet, à partir du XVe siècle, les routes commerciales inventées par Christophe Colomb ou Vasco de Gama ne passent pas par Venise, puis au XVIe la montée en puissance de l’Espagne, la France, et l’empire turc l’affaiblisse. Elle ne sera plus jamais le plus grand port européen. Et à la fin de sa campagne d’Italie, le 12 mai 1797, Napoléon Bonaparte envahit Venise et ordonne la destruction de nombreux lions de saint Marc en même temps qu’il met fin à 1000 ans d’indépendance. Plus fort encore, il rapporte à Paris les chevaux et le lion de la basilique saint Marc. Le quadrige trônera au sommet du Carrousel du Louvre, lors de son inauguration en 1809 et le lion sera planté au milieu de l’esplanade des invalides dans la fontaine située au carrefour de la rue Saint Dominique. Dès la chute de l’empereur, Venise réclamera ses précieux symboles qui lui seront restitués en 1815.
Aujourd’hui c’est encore le symbole du lion, d’or, s’il vous plait, qui récompense le meilleur film attribué au cours de la Mostra de Venise depuis 1949.
Gabrielle Chanel à Venise
C’est en 1920 que Gabrielle Chanel découvre Venise. Elle ne se remet pas de la mort de Boy Capel, survenu le 22 décembre 1919. Il était le conseiller secret de Clémenceau et l’éminence grise du gouvernement anglais en matière d’achats de guerre pendant la 1er guerre mondiale, un homme d’affaire confirmé et grand amateur de polo mais il était surtout son grand amour, celui qui lui avait donner les moyens et donc l’autonomie de construire sa vie. Tout cela anéantit par un stupide et tragique accident de voiture.
Ce sont ses amis, Misia et José-Maria Sert qui finissent par la décider à les accompagner dans leur pèlerinage estival à la Cité des Doges. Très cultivés, ils l’initient à la beauté vénitienne. Elle dira « Il savait tout…. Les itinéraires d’Antonello de Messine, la vie des Saints, ce que Dürer avait gravé à quatorze ans, (…) quels vernis employait Annibal Carrache… » et au fil des visites, la beauté légendaire de la ville opère comme un baume qui calme sa douleur.
José-Maria Sert lui montre la « Pala d’Oro», le retable vénéto-gothique, œuvre majeure d’émaux byzantins ornés de 1927 pierres précieuses de la basilique saint Marc. Elle est subjuguée et ce style byzantin accompagnera désormais son inspiration. Et puis la Venise de 1920 est gaie, ce sont les débuts des bains de mer, et d’une jeunesse qui veut vivre et s’enivrent de cocktails et de soirées. Gabrielle n’oubliera jamais Venise et Chanel perpétuera cet hommage en contribuant en 2015 à la restauration complète du célèbre Lion de saint Marc au frontispice de la basilique.
Le lion et Gabrielle Chanel
Car pour Gabrielle Chanel, née le 19 août 1883, le lion est bien plus que son signe astral, le cinquième du zodiaque. C’est un emblème. Elle croit en son pouvoir puissant et rassurant. Elle dit : « Je suis Lion et comme lui je sors mes griffes pour éviter qu’on me fasse mal mais croyez- moi, je souffre plus de griffer que d’être griffée ». Comme elle, ils sont : audacieux, instinctif, fougueux, solaire. Alors tous ces lions présents dans Venise lui semble bien plus qu’une coïncidence, une concordance.
Dès lors le lion devient son porte bonheur. Elle les collectionne dans son appartement de la rue Cambon. Elle en fait graver sur les boutons de ses célébrissimes tailleurs ou sur les fermoirs des sacs à main. Et elle en choisira même 5, en marbre, pour veiller sur sa tombe.
- Alors en 2011, le défilé haute couture inspiré par Karl Lagerfeld se déroulera au Grand Palais sous un gigantesque animal talisman de 25 mètres de haut.
- Alors en 2012 pour fêter les 80 ans de la première collection de Haute joaillerie de 1932, le lion Majestueux apparait pour la première fois.
- Alors en 2013, la collection entière est placée « Sous le Signe du Lion » et les 58 pièces de haute joaillerie seront dévoilée à la Scuola Grande della Misericordia à Venise avant d’être présentée à Paris au mois de Juillet.
Et depuis chaque collection haute joaillerie de Chanel comporte des lions : Lion Chanel, Pépite, Vénitien, Arty, ou Lion Impérial.
Olivier Polge, le parfumeur maison en a même fait un parfum oriental, un floral-aldéhydé où effleure la bergamote et le citron, réchauffés par un cœur de ciste et d’ambre et au sillage de bois de santal, musc, vanille de Madagascar et de patchouli.
Et cette année la collection haute joaillerie, présentée par le Directeur du Studio de Création de Joaillerie, Patrice Leguéreau, s’appelle « Escale à Venise ». Un hommage à la Sérénissime bien sûr, une invitation à tous ces voyages que l’on rêve de faire et qui comportent bien sûr des lions.
Parmi les 70 pièces de la collection, le Lion emblématique montre un trait graphique souligné par le blanc des diamants et du platine qui encadre un animal en majesté, éclatant de saphirs et d’or jaunes. C’est un lion Moleca, c’est-à-dire positionné frontalement avec les ailes déployées comme un éventail ou comme les ailes du lion de saint Marc.
La gamme Lion Secret montre le lion Rampant c’est-à-dire de profil et debout sur les pattes postérieures avec les pattes antérieures. Sur le collier et le bracelet, il est positionné de dos, et de part et d’autres d’un camélia placé comme un blason. Cette fois si le tracé du fauve est épuré, on ressent bien l’influence baroque qui est soulignée par ce duo de fauves comme un bas-relief. Il y a une version monochrome tout en or blanc et diamants qui impose une présence proprement royale. D’autant que le diamant poire amovible et suspendu au collier resplendit de ses quelques 15,55 carats. Sur le bracelet, ce sont des mailles souples de diamants qui encadrent languissamment les symboles de Chanel comme la lagune s’unit à Venise.
Il existe une version colorée. Les lions solaires sont alors en saphir et or jaune et sont bordés de perles de spinelles rouges et de lapis lazuli en sautoir, en bracelet et pendant d’oreille. Hommage au rouge du drapeau de Venise et au bleu profond de son ciel étoilé représenté sur la basilique Saint Marc derrière le Lion.
Comme le saphir, bleu intense, qui rugit au cœur de la bague Lion secret.
D’ailleurs pour incarner ce ciel, la parure Constellation Astrale est une mosaïque de lapis-lazuli et d’étoiles de saphirs jaunes. Le saphir central du collier éclaire de ses 4,47 carats de rayons dorés et celui de la bague brille de 4,25 carats.
Enfin, dans le Lion Céleste, la position du fauve est dite Andante c’est-à-dire que le corps entier du lion est vu de profil. Ces lions resplendissement de la pureté minérale du diamant monochrome.
Une collection de haute joaillerie dont la majesté rugit en arpège chez Chanel comme un adagio souple et félin, un mordant de la Sérénissime qui vous pourrez admirer rue de la Paix, le temps que l’écrin de la place Vendôme se refasse une beauté.