« Je vais me coucher, ma petite Joséphine, le cœur plein de ton adorable image, et navré de rester tant de temps loin de toi ; mais j’espère que, dans quelques jours, je serai plus heureux et que je pourrai à mon aise te donner des preuves de l’amour ardent que tu m’as inspiré. Tu ne m’écris plus ; tu ne penses plus à ton bon ami, cruelle femme ! Ne sais-tu pas que sans toi, sans ton coeur, sans ton amour, il n’est pour ton mari ni bonheur, ni vie. Bon Dieu ! Que je serais heureux si je pouvais assister à l’aimable toilette, petite épaule, un petit sein blanc, élastique, bien ferme ; par-dessus cela, une petite mine avec le mouchoir à la créole, à croquer. Tu sais bien que je n’oublie pas les petites visites ; tu sais bien, la petite forêt noire. Je lui donne mille baisers et j’attends avec impatience le moment d’y être. Tout à toi, la vie, le bonheur, le plaisir ne sont que ce que tu les fais.
Vivre dans une Joséphine, c’est vivre dans l’Élysée. Baiser à la bouche, aux yeux, sur l’épaule, au sein, partout, partout ! »
Napoléon
Cette déclaration brulante de passion est écrite par Napoléon à Joséphine de Vérone, le 1er frimaire, an V c’est-à-dire le 21 novembre 1796.
Parce que cette semaine je vais vous emmener dans les dessous joailliers d’une partie de l’histoire de France et de l’amour qui lie les êtres, les bijoux et leur destin.
Il était une fois Joséphine, Napoléon, une histoire (extra)ordinaire.
Nous connaissons tous notre histoire de France : Napoléon Bonaparte s’inventant premier empereur français et sacrant Joséphine lui-même. Son amour indéfectible pour elle, son ambition dévorante qui en créant l’Empire sauve la France de la Terreur avant de l’emporter vers la ruine et de se faire symboliquement enterré vivant à Saint Hélène.
Nous nous souvenons de son noyautage politique quand il place ses frères à la tête de l’Italie, de l’Espagne, de la Hollande et met barre sur la Pologne, La Prusse et l’Autriche, en bref sur toute l’Europe Occidentale qui n’avait plus appartenue à un seul et même gouvernement depuis Charlemagne.
Le code civil, l’administration avec ses préfets et ses départements, la banque de France, le Conseil d’Etat ou encore les lycées sont les créations de cet homme incroyable qui existent encore aujourd’hui.
Ce génie visionnaire en politique est aussi rétrograde sur d’autres points comme l’esclavage qu’il rétablira et la condition féminine car malgré son amour Joséphine, il considère que la femme devait rester soumise à son mari.
L’Histoire étant capricieuse, ce sont les héritiers de Joséphine qui la perpétue. Notre Napoléon III est le fils d’Hortense, la fille de Joséphine et de Louis, le frère cadet de Napoléon. Et la cousine d’Hortense, adoptée il est vrai par Napoléon en 1806, devient la grande duchesse de Bade Stéphanie de Beauharnais qui est l’aïeule de la reine Caroline de Saxe, le roi Carol Ier de Roumanie, le roi des belges Albert Ier, le prince Louis II de Monaco et le grand-duc Henri de Luxembourg.
Quand au fils de Joséphine, Eugène, il est l’aïeul des familles royales de Norvège et de Suède, de l’impératrice du Brésil Amélie, du prince consort du Portugal Auguste et du grand duc de Russie Maximilien.
Le collier Leuchtenberg : les perles des 2 Joséphine de Beauharnais !
Un détail, Eugène de Beauharnais épouse Augusta-Amélie de Bavière, sa fille ainée s’appelle Joséphine et épouse Oscar Ier de Suède, et devient ainsi reine-consort de Suède-Norvège et ancêtre de l’actuel roi Carl XVI Gustav. Sur les peintures d’époque cette Joséphine porte un magnifique collier de deux rangs de perles fines blanches, retenant sept importantes perles de forme poire amovibles. Dans le catalogue de la vente de Sotheby’s (car il a été vendu aux enchères en 2014), ce joyau aurait été donné à Joséphine de Beauharnais par sa propre mère la Princesse Augusta de Bavière, Duchesse de Leuchtenberg qui l’aurait probablement reçu de sa belle-mère, notre Joséphine impératrice, première épouse de Napoléon.
Et pourquoi je vous parle de ce bijou ? Parce que je l’ai vu ! En vrai ! Place Vendôme, dans la Maison Chaumet qui fêtait l’an passé son 240e anniversaire et qui cette année est la seule maison de joaillerie à célébrer le bicentenaire de Napoléon Ier en accueillant dans ses salons historiques une exposition exceptionnelle qui rassemble plus de 150 pièces de joaillerie, tableaux, objets d’art, lettres et documents d’arts graphiques. Ces pièces proviennent bien sûr de la collection historique de la Maison Chaumet, mais aussi des prêts de collectionneurs privés et ce collier en fait partie ! Chaumet a réussi à obtenir des joyaux issues de la Collection de la Maison royale de Danemark, la NBC Bruno Ledoux Collection et la Collection Françoise Deville mais aussi de diverses institutions culturelles comme la fondation Napoléon, le musée du Louvre, le château de Fontainebleau ou le musée national des Châteaux de Malmaison.
Et c’est pourquoi, pour la première fois ce collier de Joséphine qu’on appelle collier Leuchtenberg est réuni dans la même vitrine qu’une splendide paire de boucle d’oreille de perles en poire que vous pourrez admirer au Louvre, rassemblant ainsi la parure initiale que portait l’impératrice. Elle a été réalisée par Nitot. Car la maison Chaumet a été fondée en 1780 par Marie-Etienne Nitot joaillier de Marie-Antoinette avant de devenir en 1802 le joaillier attitré de Napoléon Ier et en 1804 Joaillier de l’Empire. Nitot passe la Maison à son fils François Regnault. Puis la Maison se transmettra entre chefs d’atelier de Jules Fossin à Jean-Valentin Morel puis Joseph Chaumet en 1885. La Maison Chaumet restera dans la famille jusqu’à sa reprise par LVMH en 1999.
L’histoire de la Maison Chaumet est intimement liée à celle de la France
Aussi dans cette exposition, l’histoire de la Maison Chaumet est-elle intimement liée à celle de la France car c’est Nitot qui dessine et serti la couronne du sacre de Napoléon et le manche de son épée autour du célèbre diamant le Régent (Musée National du Château de Fontainebleau) et imagine aussi la tiare du pape Pie VII que Napoléon lui a commandé comme cadeau pour l’éminent ecclésiaste qui a enfin accepté de bénir cette cérémonie, oh combien symbolique.
Napoléon veut conforter son pouvoir et le pape espère lui faire supprimer ses Articles organiques par lesquels Napoléon veut détacher le Pouvoir de l’Eglise sur celui des Etats. C’était inconciliable et la suite le montrera bien. Mais la tiare est au musée du Vatican et les dessins de Nitot sont bien dans le patrimoine de la Maison Chaumet et visibles dans cette exposition.
Marie-Joseph-Rose de Tascher de La Pagerie naît le 23 juin 1763 en Martinique et arrive en France en 1779 pour épouser Alexandre de Beauharnais. Un mariage malheureux qui lui donne 2 enfants, une fortune fluctuante et finalement un veuvage doublé d’un emprisonnement à la Bastille lors de la révolution. Douée dans les relations, elle restaure son train de vie et fait partie des Merveilleuses, ces élégantes qui décident de la mode et enjolivent les salons. C’est Paul Barras qui la présente à Napoléon en 1795. Il est alors officier, il tombe amoureux, la rebaptise Joséphine et l’épouse civilement en 1796, il est déjà devenu Général en chef de l’armée d’Italie.
Pour autant, le couple a un train de vie modeste comme en témoigne l’anneau tout fin au initiale JBN pour Joséphine Napoléon Bonaparte en or émaillé de bleu propriété aujourd’hui du Musée national des châteaux de Malmaison gravé de ces tendres mots « amour sincère ».
Ou encore la corbeille de mariage de Joséphine. Cette corbeille appelée aussi quelquefois « sultan » est une tradition du XVIIIe siècle : c’est un cadeau de l’époux envers sa femme pour conserver des bijoux ou des atours féminins, comme les dentelles par exemple. Celle de Joséphine pour modeste qu’elle soit puisqu’elle n’est pas en orfèvrerie mais en papier mâché recouvert de soie blanche, témoigne de l’élégance et du goût raffiné de la future impératrice. Il est de forme ovale à six pans coupés et posé un piédouche monté sur un socle rectangulaire. Le couvercle est surmonté d’une sphère en cuivre et comporte l’initiale « J » en fils d’argent. Deux anneaux en cuivre servent d’anses. La corbeille s’orne de perles, de feuilles, d’encadrements d’oves et de cannelures tout en fils d’argent. Précieusement conservée dans les collections de la famille impériale, la corbeille de mariage de Joséphine a été offerte par le prince et la princesse Napoléon au château de Malmaison en 1979 et a été restaurée grâce au mécénat de Chaumet. Un joyau que l’on ne fait plus et dont la délicatesse et le symbole d’amour m’ont particulièrement touchée.
Bien sûr, comme joaillier impérial, Chaumet commence son exposition par une plongée en majesté : dès l’entrée les portraits officiels de l’empereur et de l’impératrice nous accueille de part et d’autre d’un fauteuil de sacre par Jacob-Desmalter dont Napoléon truffait ses habitations.
Destiné à la promulgation de leur image impériale, ces tableaux politiques (prêtés par le musée de Fontainebleau et qui seront restaurés par le mécénat de Chaumet) de Gérard, David, Garneray et Prud’hon représentent Napoléon et Joséphine parés des insignes du pouvoir : les régalia de France, revus par Napoléon.
Ils portent tous deux, le manteau pourpre et non bleu de France qui symbolise la personne sacrée, lequel marie l’hermine royale avec l’abeille impériale. La couronne symbole du royaume s’allie chez Joséphine avec la parure (diadème, collier, boucle d’oreille et la paire de bracelet) dessinée par Nitot qui prédie son influence sur l’art et la culture. Napoléon porte en plus de l’épée comme entrée en chevalerie, le sceptre qui conduit le peuple mais surmonté d’un aigle et non d’une fleur de lys. La main de justice initiée par Saint Louis est posée sur un coussin à côté de l’orbe qui n’était plus utilisée depuis Charlemagne et symbolise la provenance divine du pouvoir de l’empereur. Il arbore aussi le collier de l’ordre du Saint-Esprit créé par Henri III et une couronne de laurier inspirée de César.
La veille du sacre, le cardinal Fesch unit religieusement les époux. Cette année 1804 Joséphine peut se rassurer, elle est mariée et impératrice et peut se consacrer à ce qu’elle aime, la botanique, la mode et les bijoux.
La tiare épis de blé de Joséphine
Elle se passionne pour le blé : Nitot lui crée un incroyable diadème de 9 épis de blé de plus de 66 carats de diamants taille ancienne montés sur or jaune et argent et démontable qui, à la fois, lance une vogue et signe la virtuosité du joaillier. Elle aime les camées : Nitot lui crée des parures magnifiques en agate nicolo ou en malachites. A l’époque la parure se compose du diadème mais aussi d’une petite couronne posée sur le haut du crâne et d’un peigne qui s’accroche en arrière de la chevelure et bien sûr d’un collier et des boucles d’oreille assorties ainsi que 2 bracelets car les bracelets se portaient strictement par paire.
Elle est sentimentale : Nitot lui crée les bracelets acrostiches aux prénoms de ses enfants. Vous vous souvenez dans l’épisode 10 de ce podcast le bijou comme un bisou je vous avais raconté comment en prenant la première lettre de chaque gemme on pouvait décrypter le message secret du bijou. Spécialité que la Maison Chaumet remet en ce moment au goût du jour. Prêtés par la Maison royale du Danemark, j’ai pu voir ces bracelets acrostiches créée par Nitot pour Joséphine. Quelle émotion !
L’exposition montre encore tant de beautés et il ne reste que quelques jours pour la découvrir alors que les visites affichent complet qu’il ne reste qu’à espérer que la maison Chaumet nous fera le plaisir d’une prochaine exposition comme elle l’a si heureusement organisé ces dernières années.
En attendant, avant de nous quitter, on le sait, c’est Joséphine qui s’efface, pour donner au trône la chance d’avoir un héritier. Napoléon, s’il n’est plus l’amoureux brulant des débuts, l’aime encore au point de lui conserver, son rang, son titre, son domaine de la Malmaison et toutes ses collections.
Voici sa lettre de 1809 gardée aux archives nationales :
« Avec la permission de notre auguste et cher époux, je dois déclarer que ne conservant aucun espoir d’avoir des enfants qui puissent satisfaire les besoins de sa politique et l’intérêt de la France, je me plais à lui donner la plus grande preuve d’attachement et de dévouement qui ait été donnée sur la terre. Je tiens tout de ses bontés ; c’est sa main qui m’a couronnée, et du haut de ce trône, je n’ai reçu que des témoignages d’affection et d’amour du peuple français. Je crois reconnaître tous ces sentiments en consentant à la dissolution d’un mariage qui désormais est un obstacle au bien de la France, qui la prive du bonheur d’être un jour gouvernée par les descendants d’un grand homme si évidemment suscité par la Providence pour effacer les maux d’une terrible révolution et rétablir l’autel, le trône, et l’ordre social. Mais la dissolution de mon mariage ne changera rien aux sentiments de mon cœur : l’empereur aura toujours en moi sa meilleure amie. Je sais combien cet acte commandé par la politique et par de si grands intérêts a froissé son cœur ; mais l’un et l’autre nous sommes glorieux du sacrifice que nous faisons au bien de la patrie. »
Joséphine
Ainsi se termine cette histoire extraordinaire de Joséphine, Napoléon, Chaumet, une grande histoire d’amour, de la France et de bijoux. Je tiens à remercier particulièrement Jennifer Hollington médiatrice de la maison Chaumet, et auditrice passionnée pour m’avoir réservé une place dans cette exposition et Bernard Bonnet Besse, ambassadeur de la Maison Chaumet pour la visite guidée et je leurs dédie ce podcast.