Bien sûr j’aime les splendides bijoux ruisselants de diamants et pierres précieuses. Mais je ne sors pas assez pour honorer comme il se doit ces splendeurs joaillières. Alors j’aime quand un bijou vit avec moi, qu’il bouge, quand je peux jouer avec, discrètement ou non. Ce mouvement s’exprime dans le mot cinétique qui vient du grec ancien Kinêtikos et justement signifie ce qui se meut, ce qui est en mouvement. La cinétique est une théorie qui explique un ensemble de phénomènes par le mouvement de la matière. Par extension, la cinétique se rapporte à divers processus comme la chimie, la mécanique, la thermodynamique, les réactions enzymatiques ou électrolytiques et bien sûr l’art.
L’Art cinétique regroupe des pratiques diverses. Il y a les œuvres qui bougent concrètement et celles qui donnent l’impression du mouvement quand le spectateur bouge devant l’œuvre. Le début de l’Art cinétique se situe vers 1950 au moment où les premières œuvres optiques en noir et blanc se fondent sur une illusion d’optique pour donner cette idée de mouvement. Les œuvres de Vasarely sont typiques de cette idée. Quand on se déplace devant un tableau la construction représentée semble bouger !
Certains spécialistes déterminent les premières manifestations de l’art cinétique dans les années 1910 notamment avec les œuvres de Marcel Duchamp qui est définit comme le père de l’art contemporain. Peintre et inventeur, il explore le surréalisme et le dadaïsme, se lance dans le futuriste et travaille sur le mouvement. Il déclare même « ce sont les regardeurs qui font les tableaux » et c’est justement sur cette base que l’art cinétique s’inscrit.
Plus tard, Alexander Calder participe à cette réflexion des artistes sur le mouvement avec ses mobiles. Les suspensions en fils et pièces métalliques s’activent par le déplacement de l’air ambiant et l’œuvre évolue ainsi avec le mouvement des visiteurs.
A Paris, la galerie Denise René s’ouvre en 1945 au 124 rue de la Boétie et expose justement les travaux que Vasarely avait réalisé à la fin des années 30. Cette galerie va devenir le lieu de diffusion privilégié de l’art cinétique en commençant par faire connaitre l’abstraction géométrique. Et en 1955, elle crée du 6 au 30 avril l’exposition « Le Mouvement » qui va justement faire comprendre ce mouvement artistique en rassemblant cote à cote les œuvres d’artistes venus du monde entier, artistes reconnus comme ceux de la nouvelle garde, qui partagent la même réflexion sur des médium variés comme Marcel Duchamp, Alexander Calder, Victor Vasarely, Yaacov Gibstein dit Agam, Pol Bury, Arne Jacobsen, Jesús-Rafael Soto et Jean Tinguely.
Dans ces œuvres il y a tout ce qui se meut : de l’illusion d’optique aux pièces activées par des moteurs ou par des éléments naturels comme l’eau ou l’air.
Lors de cette manifestation historique, point de départ officiel du Mouvement cinétique, Victor Vasarely, Pontus Hulten et Roger Bordier rédigent « Le Mouvement notes pour un manifeste » dont la couverture jaune donnera à cette publication le surnom de « Manifeste Jaune » qui théorise l’art optique et cinétique. Vasarely est à cette occasion désigné leader du Mouvement cinétique. Il déclare « par l’effet de perspectives opposées, ces éléments font naitre et s’évanouir tour à tour un « sentiment spacial » et donc l’illusion du mouvement et de la durée ».
Ce qui est difficile à appréhender aujourd’hui c’est la dimension révolutionnaire de ce mouvement. Pontus Hulten le co-rédacteur du Manifeste Jaune, et qui sera en 1977 le premier Directeur du Centre George Pompidou analyse bien l’impulsion de ces artistes. Bien sûr toutes ces recherches sur le mouvement sont au départ liés au progrès du cinématographe qui séduit et symbolise l’évolution de la société. Mais ce n’est qu’un moyen. Les artistes cinétiques travaillent sur 3 registres. Tout d’abord travailler le mouvement par rapport à un espace rend compte du développement de l’urbanisme. Il ne faut pas oublier que c’est dans les années 60 que l’industrie prend le pas sur l’agriculture comme source de développement avec tous les changements sociétaux que ça implique comme le développement du travail à l’usine puis au bureau qui deviendra le modèle dominant, et qui provoque une nouvelle concentration dans les villes, développant les immeubles de grands ensembles comme les transports urbains.
D’autres artistes cinétiques par leurs recherches optiques et lumineuses veulent monter le caractère changeant du monde et souligner son instabilité et cette recherche semble naturelle à une époque qui suit directement les 2 guerres mondiales.
D’autres artistes encore cherchent à libérer l’œuvre soit en créant des œuvres différentes du tandem usuel tableau-sculpture soit en investissant l’espace comme une symbolique d’émancipation.
Mais tous ces artistes veulent libérer l’art de ses carcans. Ils veulent une fusion de tous les arts et une ouverture des arts vers l’extérieur et le public. Alors ils utilisent des vidéos, des machines interactives, des néons, des lasers jusqu’à des espaces immersifs. Je pense que les nouvelles œuvres numériques et leur inscription dans les NFT (jeton cryptographique qui représente un objet, souvent numérique, rattaché à une identité numérique) qui semblent si nouvelles, sont directement la suite de ce mouvement de l’Art cinétique. Même si l’esprit est différent, je suis frappée par cette analogie de la situation entre un monde qui change et la mouvance des œuvres qui s’y développent.
Ces artistes vont même plus loin en voulant faire disparaitre leur égo d’artistes au profit de la collectivité du mouvement artistique. Alors ils se constituent en collectifs.
Il y a le G.R.A.V. à Paris, le Groupe N à Padou, le Groupe T à Milan, le Groupe Zéro à Düsseldorf, le Groupe Nul en Hollande, le Groupe Dvizhenie à Moscou et le Groupe Anonima aux États-Unis.
Le GRAV est le plus célèbre, les abréviations veulent dire Groupe de recherche d’Art Visuel. Il exprime bien la notion d’expérimentation que prônait ces artistes comme leur volonté que l’œuvre ne soit pas réservée à une élite culturelle et intellectuelle. Alors ils rendent leur art accessible en permettant aux spectateurs de toucher et manipuler les œuvres et développent une nouvelle approche ludique de l’art.
Leur manifeste intitulé « Assez de mystifications » et distribué en octobre 1963 à la Biennale de Paris déclarait :
« Nous voulons intéresser le spectateur, le sortir des inhibitions, le décontracter.
Nous voulons le faire participer.
Nous voulons le placer dans une situation qu’il déclenche et qu’il transforme.
Nous voulons qu’il s’oriente vers une interaction avec d’autres spectateurs.
Nous voulons développer chez le spectateur une forte capacité de perception et d’action. »
Pontus Hulten organisera de nombreuses manifestations pour faire connaitre cet art cinétique. Dès 1955 il participe aux expositions de la galerie Denise René, en 1961 il organise l’exposition « Rorelse i Konsten » au Moderna Museet de Stockholm et en 1968, il programme « The Machine as Seen at the End of the Mechanical Age » au MoMA de New York.
C’est lors de l’exposition MAT-Kinetische Kunst — Multiple Art Transformable-Art cinétique de Zürich, en 1960 que l’expression Art cinétique est employée pour la 1e fois par une institution muséale. Les artistes repérés par la Galerie Denise René y sont bien sûr représentés et forme ainsi la Nouvelle Tendance.
Auquelle s’adjoint bientôt les artistes américains. En 1964 s’ouvre au MoMA de New York de l’exposition The Responsive Eye organisée par son directeur américain William C. Seitz et en collaboration avec la galerie Denise René qui apporte presque la moitié des œuvres présentées. A cette occasion le Times utilise pour la 1e fois le terme Op’Art pour qualifier ces œuvres. Ce mot est une abréviation de l’expression Optical Art qui qualifie les jeux d’optiques présenter notamment par la Galerie One à Londres laquelle présentait la première les œuvres de Vasarely.
L’expression Op’Art qui dès lors concurrencera au niveau international l’expression Art cinétique, exprime également un dialogue avec la société technique et industrielle et renoue avec l’abstraction et les compositions géométriques.
S’ils se développent en même temps, l’Op’Art partage avec le Pop Art la volonté de rendre l’art accessible. Le Pop Art qui veut dire Popular Art montre la société de consommation, utilise des matériaux industriels mais son champ de bataille se situe sur la dénonciation de l’unicité de l’œuvre. Par ailleurs ces 2 mouvements réintroduisent la réalité dans l’expression artistique et son accessibilité au plus grand nombre.
Bien sûr ce mouvement de l’Art cinétique n’est pas né magiquement. Il est fortement imprégné par les changements sociétaux de l’époque et les réflexions révolutionnaires dans l’art des mouvements artistiques précédents comme les futuristes, cubistes, constructivistes,… et bien d’autres.
L’art cinétique sera à son apogée vers 1975 puis tombera dans l’oubli jusqu’à l’exposition Dynamo au Grand Palais en 2013.
Comme l’Art cinétique est pluri-médium, certains artistes s’essaieront aux bijoux. Pol Bury dont on peut voir la Fontaine des Sphères aux jardins du Palais Royal a créé sur ce même principe de sphères mobiles des bijoux. Sa fontaine est mue par l’eau et sur les bijoux c’est un système de trembleuses qui fait bouger les petites billes sur un plan carré, rond ou octogonal. Vous pouvez surveiller les enchères car on trouve quelquefois ces bijoux qui sont rares car fabriqués entre 1968 et 1975. Ils font l’objet de collections passionnées comme celle de Diane Venet. Et si vous en mourrez d’envie vous trouverez peut être des pièces à la Galerie Minimasterpiece et j’ai vu une bague qui est encore en vente chez Vissi d’Arte. C’est une bague en or gris composée d’un plateau carré orné de sphères toutes mobiles de différentes tailles. Une pure beauté animée.
Toujours chez Vissi d’Arte, vous trouverez la bague appelée justement « Mobile » de Meret Oppenheim. Cette artiste peintre et plasticienne surréaliste n’a créé que 8 pièces de ce modèle édité par Cleto Munari. Sur cette bague, 3 engrenages en or blanc, jaune et rose montrent un tiers de leur surface diamanté alors quand on joue avec, le système ludique fait rayonner leur éclat comme autant de rayons précieux.
Récemment Thierry Vendome vient de rééditer sa bague « Rolling stone », une de ses plus anciennes créations du début des années 80. Les premiers modèles étaient réalisés avec des perles blanches et noires qui s’entrechoquaient dans un corps de bague en or. La nouvelle est une bague ouverte d’une côté une opale fixe, de l’autre un profilé d’or s’ouvre comme un livre et permet à la bille d’opale d’aller et venir au gré du mouvement de la main dans une danse carrément hypnotique. Comme chaque modèle est unique, allez directement le voir dans sa boutique-atelier de saint Paul pour faire créer votre bague cinétique « Choc ».
Depuis sa première collection, Marie Mas travaille sur les principes cinétiques. Sa joaillerie se définit comme une joaillerie de mouvement unique. Ses collections s’appellent « Wave », « Swinging ». Par exemple La collection Wave capture l’esprit organique du mouvement et incarne une liberté et la bague King Wave est une chevalière en or rose où les diamants ou les pierres de lune bleutées sont montées sur de fines tiges. Alors quand vous glissez le doigt dans la bague, ces tiges se soulèvent et définissent le volume qui vous est personnel pour un rendu unique.
Mon coup de cœur est toujours la bague « Dancing ». C’est une bague ouverte avec d’un côté un diamant navette et de l’autre des quartzs et topazes cabochons qui déclinent un camaïeu de bleus jusqu’à ce que vous bougiez la main et que d’un mouvement souple les cabochons montrent leur autre surface en camaïeu violet-rose d’améthystes et de quartzs. Marie Mas vient justement d’ouvrir son show room parisien rue de Richelieu, il n’y a plus qu’à prendre rdv.
En bijou contemporain cinétique, j’adore aussi Agnès Dubois. Chez elle pratiquement tout bouge ! La bague « Funambille » est un rond dans un carré où la perle d’eau douce rose ou de calcédoine bleu ou chrysophrase verte roule sur son entourage décentré.
La bague « l’éloge du vide » est une cage ovoide où la perle navigue librement pour atterrir d’un côté ou d’autre du panier dans un jeu personnel. La bague « Mars » est complètement carrée et son va et vient cosmique est à l’échelle de notre doigts.
Mais mon super crush c’est la bague « sixième sens » c’est une forme aérienne qui occupe la main d’une géométrie de cercles posés comme un système galactique dans lequel une perle planète évolue librement. Elle réalise ses modèles en argent et vermeil, à la main, dans son atelier à Fontenay-sous-Bois où elle vous recevra sur rdv.