Le goût pour l’exotisme que représente l’Asie a fasciné les européens depuis que les jésuites, entreprenant un mouvement de conversion générale qui les avait emmenés à l’autre bout du monde, avaient ramené des récits, forcément fabuleux et des objets qui faisaient rêver. Ils s’étaient vers 1581 concentrés sur la Chine et le Japon, et aussi la Turquie suivant les possibilités de voyages de l’époque.
Quand les jésuites auront convaincus Louis XIV, appuyé par Colbert de l’intérêt d’échange avec la Chine, suite à la visite de l’ambassade du Siam, le père Gherardini, peintre célèbre, et le père Belleville, miniaturiste, débarquèrent à Pékin au début de 1699. C’est comme ça que commencèrent les échanges commerciaux avec la Chine et le goût français pour les objets objet d’arts asiatiques. Ce goût devient une nécessité quand en 1689 les édits royaux, pour renflouer les caisses de l’Etat et faire face aux guerres ont appelé ou obligé les nantis à apporter leur argenterie pour être fondue, ce qui fait que la mode de manger dans de la faïence ou de la porcelaine chinoise datent de cette époque. Toujours est-il que dans l’Inventaire général des meubles de la Couronne de 1673 il est déjà fait mention des paravents de Chine.
La Costa Del Coromandel est située sur la côte sud-ouest de l’Inde, sur le golfe du Bengale. Certaines sources disent que c’est de ces ports indiens que partaient les bateaux de la Compagnie des Indes sur lesquels étaient transportés les paravents chinois et que c’est de là que viendrait leur nom. Les principaux paravents de Coromandel parvenus en Europe proviendraient des provinces intérieures de Shan-Si, de Sin-Nang-Fou et de Hou-ân au Centre de la Chine. Les laques de Coromandel seraient apparues sous l’époque Ming qui débutait en 1368, et ont connu leur apogée en Chine sous le règne de l’empereur Kang-Hi c’est-à-dire de 1662 à 1723. Ils auraient constitués des cadeaux traditionnels au sein de l’aristocratie chinoise.
La technique coromandel
Comme la transmission de ce savoir-faire se faisait de manière orale, la technique des laques de coromandel n’est pas acertainé au contraire des autres types de laque chinoise que l’on connait peut être mieux car des artisans chinois sont revenus dans les bagages des ambassades et qu’on a pu voir leur savoir faire. Pour les laques de coromandel, le mystère est encore très épais.
On est cependant sûr que le coromandel s’apparente à la technique de l’émail appelée « Champlevé » c’est-à dire une gravure en creux qui est remplie de matière. La technique est appellée kuancai c’est–à-dire littéralement «couleurs gravées». Le coromandel part d’une feuille de bois plutôt poreux, souvent du sapin. On tend dessus une toile que l’on recouvre d’une colle mélangée à de l’ardoise que l’on ponce jusqu’à ce que ce soit parfaitement lisse. Ensuite on enduit de laque, on re-ponce, puis on re-laque, jusqu’à ce que la laque soit devenue épaisse de quelques millimètres. Pour obtenir un beau noir, les couches du dessous sont parfois rouges ou blanches.
Ensuite on grave sans atteindre le bois. Dans les creux, on verse ensuite des pigments de couleur, qui sont une sorte d’aquarelle gouachée. Pour obtenir l’effet de profondeur désiré on peut avoir jusqu’à trente couches de laque qui se superposent. Chaque couche étant gravée, peinte et incrustée des figures et des motifs. Certains peuvent même être incrustés de nacre, ivoire ou pierres précieuses.
Ce qui caractérise le paravent coromandel est un sens particulier de la composition et le souci du détail. Chaque panneau que l’on appelle des feuilles raconte une histoire qui est compréhensible sur cette surface mais qui se poursuit sur les autres. Les scènes du quotidien, les scènes de palais, la nature sont des thèmes récurrents qu’il faut parfois traduire par la symbolique chinoise. Par exemple, les oiseaux symbolisent l’empereur et l’impératrice.
Gabrielle Chanel découvre le coromandel en 1910
Gabrielle Chanel découvre les coromandel en 1910, Elle est initiée par Boy Capel, son grand amour. Mais aussi le peintre et photographe José Maria Sert, l’époux de son amie Misia. Avec eux elle apprend le beau, et le mélange des époques et des styles. Comme elle a le don de savoir puiser dans ce qui l’entoure pour tout réinventer et se créer une vie et un style sur mesure, elle commence a acheter des paravents coromandels et à les mettre partout chez elle. D’abord dans son appartement avenue de New-York, puis en 1923 dans son hôtel particulier, rue du Faubourg Saint-Honoré, elle les fait suivre dans sa suite au Ritz Paris puis en 1968 dans sa villa de Lausanne. Elle en aurait possédé 32. Elle les utilise comme parois mobiles pour modifier son intérieur ou cacher les portes. Elle en recherche toujours de nouveaux, en donne certains, mais en garder assez pour dit-elle «pour tapisser ma maison».
Au 31 rue Cambon, il y en a toujours 8 huit paravents de Coromandel qui deviennent célèbres parce qu’elle se fait photographier avec et qu’on les voit dans les publicités de l’époque. On la voit entourée de ses paravents en 1937 dans les photographies de Lipnitzki et Roger-Viollet Elle s’en inspire dans sa mode ,et dans la Collection haute couture 1958, elle présente un tailleur avec une doublure en lamé rappelant les impressions des coromandels.
Cet attachement de Gabrielle Chanel est si fort qu’il s’est inscrit dans l’ADN de la Maison et Karl Lagerfeld y fera également référence dans sa collection de 1996 en présentant 3 manteaux brodés inspirés des motifs coromandels.
l’inspiration coromandel dans la joaillerie de Chanel
En 2012, l’inspiration coromandel arrive dans la joaillerie à travers la 1e collection horlogère de chanel
En 2018, c’est la collection haute joaillerie qui en témoigne.
D’abord le choix des gemmes rappellent toute la gamme chromatique des laques de Coromandel : Il y a le vert des grenats tsavorites, des émeraudes et notamment une tourmaline verte de plus de trente-sept carats sur la bague «Vibration Minérale» ; il y a le rouge des perles de rubis et du spinelle de la bague «Évocation Floral» et il y a le noir des laques noires qui se déclinent en onyx.
Ensuite il y a le travail des asymétries et des camaïeux de gemmes et de couleurs, le traitement stylistique des marqueterie de nacre ou de turquoise en forme de nuage, d’oiseau et de fleur dont bien sûr le camélia, et la liberté créative qui compose avec la structure géométrique, comme les paravents de Coromandel et comme les contraintes de la haute joaillerie.
Enfin il y a les 3 univers inspirés des paravents coromandel : floral, animal et minéral.
Le thème floral décliné notamment sur une manchette entièrement réversible, reprenant la structure géométrique des paravents, comprenant un diamant jaune fancy vivid de 3,52 carats et pivotant pour rester toujours visible au poignet. La flore est présente également sur le collier évocation florale en laque et diamant.
Dans le thème minéral, l’or jaune est ponctué de nuages de nacre et de diamants et dessine un paysage sur la parure «Horizon Lointain» avec sur le collier plastron un diamant central de six carats.
Sur thème animal, « précieux envol » est un oiseau en plein vol comme directement sortis des paravents qui rappelle que pour la Maison Chanel, Gabrielle est l’impératrice de leur inspiration. L’oiseau est une belle surprise le thème est peu exploité par la Maison.
« J’aime les paravents chinois depuis que j’ai dix-huit ans… J’ai cru m’évanouir de bonheur quand, pour la première fois, en entrant chez un marchand chinois j’ai vu un Coromandel… Les paravents, c’est la première chose que j’ai acheté… ».
Gabrielle Chanel