En latin « lapis » veut simplement dire « pierre » et le mot lapidaire vient du latin lapidarius qui signifie « taillé dans la pierre ». Aussi le mot lapidaire, pour ceux qui n’ont pas fait de latin peut prêter à confusion.
Pour mémoire quand Marbode, l’évêque de Rennes, publie « De lapidis » ou « Liber lapidum, seu De gemmis », « De lapidibus » avant 1090, il exprime ainsi Le Poème des pierres précieuses. Et le traité du chevalier Jean de Mandeville qui était né vers 1300 dont le titre est “le Lapidaire” contient une description des pierres précieuses et de leurs vertus magiques mais rien du tout concernant la taille de pierre.
Alors le mot « lapidaire » depuis l’antiquité où l’on trouve les écrits de Pline l’ancien ou encore Damigéron et pendant le Moyen Age s’applique aux écrits et à ceux qui cherchent à connaitre les pierres gemmes, les classifier, rechercher leurs particularités voire leurs pouvoirs.
Et pourtant, les lapidaires-tailleurs de pierre s’inscrivent dans une tradition remontant au IIe siècle avant Jésus-Christ. En soit, la taille des pierres date des australopithèques et la pierre polie du Néolithique.
Le lapidaire taille les gemmes sauf le diamant
Mais je vais me concentrer sur le domaine de la joaillerie où le lapidaire est celui qui taille les pierres précieuses et les pierres fines de façon à révéler toute leur beauté et les rendre dignes d’orner les bijoux pour en faire de véritables joyaux.
Une dernière précision de vocabulaire, le lapidaire taille toutes les pierres gemmes SAUF le diamant, qui lui, est taillé par un diamantaire, ce qui apporte d’autres confusions parce que celui qui vend et connait les diamants s’appelle aussi diamantaire, mais cela fera l’objet d’un autre podcast.
Globalement il y a 3 procédés pour polir et tailler les pierres gemmes.
Il y a d’abord les pierres roulées. Elles sont polies et poncées dans un tonneau avec des abrasifs. Les contours des pierres sont adoucis. Par exemple, les pierres que l’on prend en main pour faire de la méditation ou celles des massages aux pierres chaudes sont des pierres roulées. Leurs touchers sont agréables mais cette technique ne permet pas de révéler toute la beauté des gemmes.
En effet, le secret du lapidaire est de savoir révéler l’intensité de la couleur et la brillance ou les feux des pierres et pour cela le lapidaire est un Maître en géométrie comme en réflexion de la lumière.
La taille cabochon
Le second procédé est la taille en cabochon. Un cabochon est une pierre qui est coupée et forme un fond plat et dont le haut est poli, arrondi ou convexe. Dans l’Antiquité, quand on ne savait pas encore facetter les pierres, les gemmes étaient toutes taillée en cabochon ce qui permettait de concentrer l’intensité de leur couleur.
Et aujourd’hui, la taille cabochon est privilégiée pour les pierres opaques ou celles qui ont des propriétés optiques spéciales comme l’effet d’étoile qu’on appelle l’astérisme, ou par exemple l’effet d’oeil du chat qui vient de la chatoyance, l’irisation que l’on voit sur les labradorites ou l’adularescence que l’on trouve par exemple dans les pierres de lune.
Comme la taille cabochon permet de mettre en valeur l’intensité de la couleur, elle est quelquefois utilisée pour garder le maximum de valeur à des gemmes de qualité moyenne et garder un poids intéressant puisque la valeur d’une pierre est aussi déterminée par son caratage. Mais cette taille cabochon peut aussi être choisie parce que le joaillier l’a décidé ainsi. Cette taille cabochon peut aussi être façonnée avec des coins arrondis ce qui crée une sorte de dôme à pan coupé, on parle alors de forme « pain de sucre ». La Maison Fred est très connue pour ce type de taille. Et quand la gemme est de forme cabochon sur le dessus mais facettée en dessous on parle alors de « cabochon suiffée », la pierre a alors une couleur intense mais le facettage du dessous produit un éclairage tout en douceur, un vrai raffinement.
La taille à facettes
Le troisième procédé du lapidaire est bien sûr la taille à facettes. Il n’y a pas une date précise d’invention du facettage mais plutôt des évolutions techniques qui ont amené les lapidaires d’aujourd’hui vers un perfectionnement dont l’objet est de rendre la gemme étincelante et réfléchissant la lumière de tous ses feux. Dès le XIIIe et XIVe siècle on voit apparaitre quelques pierres facettées. Vers 1476, l’invention d’une roue horizontale qui permettait de meuler donne la possibilité de créer des plans facettés compliqués et un facettage géométrique et symétrique.
Aussi dès la Renaissance, l’art lapidaire se développe à Bruges, Venise, Florence puis dans l’ensemble de l’Europe. En France, Mazarin, grand amateur de pierres précieuses, encourage le travail des lapidaires et joue un rôle important dans la promotion de ce métier dont la région du Jura est un lieu historique.
Les efforts d’innovation se concentrent d’abord sur le diamant et une première taille en brillant, c’est-à-dire la forme ronde, aurait été créée par Louis de Berquen, à Bruges, en 1485. Mais c’est en 1919 qu’un ingénieur et diamantaire belge, Marcel Tolkowsky, publie un traité théorique sur les dimensions idéales du diamant. Il définit des angles de coupe de 41 degrés pour les pavillons et de 34 degrés pour les couronnes.
La taille brillant
La taille brillant comporte donc 58 facettes parfaitement régulières, ce qui donne au diamant le maximum d’éclat quitte à diminuer un peu son poids. A partir des travaux de Tolkowsky, les lapidaires vont s’attacher à privilégier les feux d’une gemme et la norme s’étend à toutes les pierres précieuses et fines et pas seulement au diamant.
Au-delà de la taille brillant, combien de tailles connaissez-vous et comment les fait-on ? J’identifiais la taille émeraude celle qui ressemble à la forme de la place Vendôme, la taille baguette qui est rectangulaire, la taille poire qui est ronde en bas et pointue sur le dessus, la taille marquise qui ressemble à un œil, la briolette qui crée comme une résille sur toute la pierre et bien sûr la taille cœur. Et en fait j’étais assez fière de moi car je pensais connaitre le principal. Mais comme je vérifie toujours, je suis allée à la rencontre de Sébastien Hourrègue, un lapidaire qui sous la marque Sebstones officie au cœur de l’Atelier de l’Objet, situé en parallèle du faubourg Saint Honoré près de la place Vendôme.
En véritable amoureux des gemmes, il m’explique le respect des lapidaires pour cette matière si spéciale et si ancienne qu’ils se considèrent modestement comme des passeurs, chargés de la magnifier et de la sublimer.
Il me montre les différentes meules avec lesquelles il travaille. Ce sont des sortes de disques soit diamantées dans la masse soit diamantés par électrolyse qu’il choisit selon le grain dont il a besoin pour polir et tailler. Elles sont couleur acier mais quand on les regarde de près on voit le reflet de lignes croisées qui chatoient de reflets bronze. Il en prend grand soin et les fait re-surfacer chaque année.
La géométrie du lapidaire
Pour me faire comprendre le geste du lapidaire, il prend ce qu’il appelle un crayon et qui est un embout métallique, met à l’extrémité un peu de cire qu’il appelle un ciment, chauffe le tout et quand le ciment est souple il ajuste dessus une pierre. L’embout métallique est alors mis dans une gaine qui est composée de 64 à 128 crans pour faire tourner la gemme par rapport à la meule. Sébastien pose d’un côté la pierre sur la meule et insère l’autre côté de son « crayon » spécial dans une évention qui comporte une trentaine de trous permettant de donner un angle précis à la facette.
Il m’explique que la taille d’une pierre a pour objectif de créer la réfraction de la lumière parfaite. Le facettage a pour but de faire circuler la lumière dans la pierre entre la couronne c’est-à-dire le dessus et la culasse c’est-à-dire le dessous.
Il s’agit d’atteindre l’angle idéal qui est celui où la réflexion de la lumière est totale sans dépassser l’angle critique, qui permettrait à la lumière de fuir la gemme comme elle le fait en traversant une fenêtre, d’où le terme de « pierre fenêtre ».
Et bien sûr chaque type de pierre a sont propre indice de réfraction et donc un angle critique différent et donc les degrés pour tailler la culasses comme la couronne sont tous différents.
La ligne de jonction entre la taille de la couronne et de la culasse est le feuilletis. Le lapidaire doit la réussir la plus plate et la plus mince possible. Comme le feuillettis est au confluent des courbes et des angles, il pourrait avoir naturellement une forme de feston, ce que méprise les lapidaires qui visent à amincir ces lignes de clôtures pour plus d’élégance ce qui démontrent aussi leur dextérité.
Au-delà de créer la forme d’une pierre, le lapidaire peut aussi intervenir pour l’améliorer. Il peut « ajuster sur œuvre » c’est-à-dire retailler une pierre pour qu’elle s’insère parfaitement dans un bijou. Il peut repolir une pierre pour lui redonner de l’éclat parce que quand on vit avec son bijou, au bout d’un moment la pierre subit des altérations qui la ternissent. Mais le lapidaire peut aussi valoriser une pierre. S’il y a un petit éclat dans la culasse, une petite imperfection qui n’est pas centrale ou si la couleur n’est pas uniforme. En effet si une pierre n’a pas une couleur identique partout, en la taillant de façon à focaliser la couleur au centre de la culasse on lui donne une visibilité homogène.
Les tailles non conventionnelles
Mais ce qui m’a le plus bluffé c’est quand Sébastien Hourrègue m’a montré différents types de taille. D’abord je croyais les connaitre mais en fait il y en a beaucoup plus : taille ovale, coussin, Asscher, Ceylan, radiant, trillion et encore ce ne sont que des tailles conventionnelles. On appelle non-conventionnelle toutes les autres. Ce genre de taille reflète de façon magistrale l’art du lapidaire mais le consommateur habituel ne les connait pas ce qui fait par ailleurs le bonheur de connaisseur collectionneur.
Pour expliciter ces tailles non-conventionnelles, Sébastien commence par me montrer la taille du célèbre diamant bleu de louis XIV qu’il a reproduit, en CZ Oxyde de Zirconium, une matière de synthèse créé en laboratoire pour imiter le diamant.
Puis il me présente une améthyste d’une forme générale presque poire mais qui montre à partir du centre une multitude de tailles qui produit à la fois une impression de rayonnement et de profondeur tout en donnant l’illusion de multiples couches comme la dentelle bouillonnante de la jupe haute-couture d’une débutante présentée à la cour.
Puis Sébastien me montre une autre taille. Il me présente en parallélépipède rectangle dont la taille donne l’impression de faire courir sur toutes les faces des entailles franches et droites comme des branches de sapin.
Enfin, Sébastien me dévoile une pièce qu’il avait réalisée pour un concours. Dans un cercle, une tête d’ange solaire, façon Louis XIV, irradie à l’infini et se reflète tout ou partie, en concave et convexe sur les strates d’un heptagone à différent pan coupé. Une pure merveille !