Oui, oui, je vais vous parler de la quenotte, de la ratiche, du chicot, façon bijou bien sûr !
Pour cela je vais séparer mon propos en 2 angles :
- Tout d’abord le bijou en dent : celui dont la dent est le cœur du bijou, celui qui contient des dents ou celui qui est en forme de dent.
- Ensuite, je vous parlerais du bijou qui se porte sur la ou les dents.
Les dents sont des bijoux de la bouche
Je vous entends déjà dire beurk, mais au fait pourquoi beurk ?
Pourquoi cette répugnance pour ce don de la nature qui nous permet de nous nourrir et de croquer à pleine dent, de séduire en souriant de toutes nos dents ou de nous défendre en montrant les dents. Pourquoi les dents ne seraient-elles pas dignes d’accéder au qualificatif de bijou. Après tout nous en prenons grand soin, nous les aimons saines et blanches et ce sont de vrais bijoux de notre bouche !
La broche Ruby Lips de Salvador Dalí par Henryk Kaston en témoigne.
Les dents comme valeurs d’échange
Au Paléolithique supérieur nos ancêtres aimaient porter des dents animales. Les spécialistes ont remarqués que les parures en dents n’appartenaient pas toujours à la faune présente sur le territoire de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, ce qui suppose qu’elles ont assez de valeur pour qu’on les échange.
Ces bijoux privilégiaient certains types de dents : les canines des carnivores et les incisives des herbivores. On a retrouvé à Kaprina en Croatie une parure de dents d’animaux et d’ivoire datant de -35 000 av. J-C à l’époque où l’Homme s’appelle Neandertal. On a aussi retrouvé des colliers ou bracelets en dents humaines.
L’exposition Medusa « bijoux et tabous » de 2017 en montrait un. Que ces dents soient portées en bijou est indéniable mais leur symbolique reste un mystère : les dents étaient-elles des trophées montrant la puissance de l’homme sur l’animal ou un ennemi ? Etaient-elles une transmission du pouvoir d’un animal ou d’un ancêtre que l’on porte comme une amulette pour se protéger ? On ne peut que supposer. En tout cas elles ont certainement une dimension sacrée puisqu’on les a porté ainsi en bijou.
Appoline-Appollonie, la sainte des dents
Avec Appollonie, la dent accède au pouvoir sacré et prophylactique. Cette vierge consacrée au culte de Marie vivait à Alexandrie au IIIe siècle et s’était convertit au christianisme. En 250, l’empereur Dèce promulgue un édit qui oblige tous les citoyens à offrir des sacrifices aux dieux pour la sauvegarde de l’Empire, sous peine de mort. Cet édit marque le début de persécution des chrétiens, Appollonie est sommée d’injurier le Christ et comme elle s’y refuse ses bourreaux lui fracassent la mâchoire et les dents, ils la mettent devant un bûcher, dans lequel elle se jette. Nous sommes en 242.
En 1270, Pedra Juliao Rebello alias Pétrus-Julianus, avant de devenir le pape Jean XXI, est le médecin particulier du pape Grégoire X, et il rédige le célèbre « Thesaurus pauperum » (Trésor des Pauvres), qui renferme une compilation de nombreux conseils issus des médecines hippocratique et arabe, ayant pour but de permettre aux plus pauvres de se soigner eux-mêmes. Il écrit « Que tout homme qui a mal aux dents se recommande de sainte Apollonie et prie, la douleur disparaîtra ».
Ainsi commence le culte de Sainte Appollonie, ou Appoline, canonisée en 1634 et fêtée le 9 février, qui deviendra la patronne des dentistes. On retrouve donc des reliquaires, qui existent toujours aujourd’hui, dès le XI à Saint Lézat en Ariège, au XVe à Nédon, dans les Hauts de France, au XVIIIe siècle à Nouziers dans la Creuse, au XIXe à Bernac dans le Tarn, mais aussi à Rab en Croatie et à Porto au Portugal. Les dents de Sainte Appollonie sont ainsi devenues des bijoux religieux.
Les bijoux de dents de la reine Victoria
La reine Victoria a beaucoup impacté la mode des bijoux avec des dents. La reine porte par exemple un collier offert par le Prince Albert en 1860 qui est fait d’or, d’émail et de 44 dents de cerfs qui ont été chassés sur le domaine royal de Balmoral par Albert pour sa femme bien-aimée. Chacune des dents est gravée de la date à laquelle l’animal a été tué tandis que le fermoir contient l’inscription: «Tous abattus par Albert».
Elle porte aussi une broche de dents et émail offerte en cadeau d’anniversaire en 1851 et deux paires de boucles d’oreilles en dents.
Tous ces bijoux sont fréquemment portés en privé par la reine.
L’exposition « Victoria and Albert : Art and Love » à la Queen’s Gallery en 2010 montre ces bijoux au public. Comme le Prince Albert lui a offert, ce ne sont pas des bijoux de deuil mais plutôt des bijoux de sentiments.
Comme ceux réalisés avec les dents de laits de ses enfants. La broche en or et émail en forme de chardon est créée avec une dent de lait de la Princesse Vicky. Une inscription au dos indique qu’elle a été « tirée par son père, le Prince Albert, le 13 septembre 1847 ».
Avec les dents de lait de la princesse Béatrice, La reine Victoria commandera en 1864 à Garrard un pendentif et des boucles d’oreilles en or et émail. En forme de fleurs fuchsia, ils symbolisent l’amour humble. Sur le ruban du pendentif est écrit » Première dent de notre bébé ». Après la mort de la reine Victoria, la parure est passée à la Princesse Béatrice. En 1944, sa fille la reine Victoria Eugénie d’Espagne en hérite à son tour. Ces bijoux de dents appartiennent désormais à la collection royale.
La mode des bijoux avec inclusion de dents de lait est lancée. Soit, ils sont le symbole de notre évolution et on les monte en bijoux pour évoquer le temps, soit ce peut être un bijou de deuil, soit la légende raconte qu’une dent de lait offerte par la mère à une autre femme favoriserait la conception. Tous ces bijoux de dents sont alors des reliquaires personnels.
Les bijoux en dents aujourd’hui
Il y a des collectionneurs de ces bijoux de dents que l’on voit apparaitre de temps en temps dans les salles de vente.
J’en ai aperçu chez Collin-Dubocage et Gros Delettrez à Drouot.
De façon récurrente le modèle du bijou de dents revient. Et aujourd’hui, s’entrechoque avec notre nouveau rapport au corps.
L’américaine, Polly Van der Glas fabrique des bijoux à partir de vraies molaires, les vôtres si vous lui faite parvenir sur Etsy.
La broche que l’artiste contemporain Peter Machata a créé en 2004 s’appelle « Absence de… » et comporte une molaire avec racine.
Mêmes les dents qui sont des copies de porcelaine, ou carrément en or, portent aujourd’hui ce même bagage symbolique de provocation. En témoigne la chevalière en or « molaire » de Baptiste Monvoisin qui a été choisi par le rappeur français, AlKpote, autoproclamé « Empereur de la Crasserie ».
Le bijou dentaire
Il est quelque fois difficile de faire la part de l’intervention médicale avec la part de pratique somptuaire dans les interventions sur les dents. D’autant que ce sont souvent les plus aisés qui en bénéficient ce qui contribue à mettre sur le même niveau soin, esthétique et position sociale. Ce mélange des conceptions semble toujours d’actualité si on se souvient de la remarque sur les « sans dent » du président de la République précédent.
Les interventions dentaires remontent au néolithique au Danemark, de 7000 à 5500 avant JC au Pakistan. Et vers 5000 avant JC, les Sumériens émettent l’idée qu’un vers de la dent est responsable des caries et est apporté par un démon. Les traitements préconisés n’altèrent pas les dents mais allient les incantations divines aux plantes.
Le premier dentiste nommément connu de l’histoire mondiale est l’égyptien Hesire en 2700 av. J.C. A coté des textes qui décrivent les mesures pour soigner les dents, les archéologues remarquent que dans la vallée de Gizeh, les Égyptiens reliaient leurs dents entre elles avec des plaques d’or. Certaines interventions ont du avoir lieu post mortem pour que le défunt puisse entrer entier au royaume des morts. Les modifications dentaires pourraient donc être plus rituelles que médicales.
On observe des modifications dentaires dès 900 avant JC, chez les vikings. Des déformations artificielles ont été entreprises depuis des millénaires dans un contexte rituel ou culturel. Selon les divers peuples, on distingue divers types de déformations : limage des dents (en pointe par exemple), fracture, déplacement. Chez les Étrusques entre 800 et 200 avant Jésus Christ, les femmes fortunées se faisaient enlever les dents de devant pour les remplacer par des décorations d’or. Les fractures rituelles de dents sont communes aux aborigènes d’Australie, aux Himbas de Namibie et aux Surmas d’Éthiopie mais aussi dans l’espace méditerranéen agricole pour des raisons cosmétiques, rituelles, sociales ou de statut.
Au Japon, le noircissement des dents Ohaguro est une mode qui remonte de 300 à 700 après JC. Le Ohaguro est pratiqué par les femmes et les hommes de la noblesse de cour, puis par les Samouraïs. C’est un signe de force et d’honorabilité et aussi de beauté pour les femmes. Sous l’influence occidentale, il sera complètement interdit par le gouvernement Meji en 1871.
Vers 900, chez les Mayas, les dents sont creusées pour y enchâsser des pierres décoratives, comme le jade, le cinabre, la serpentine, la pyrite ou l’hématite. Cette intervention purement rituelle ou symbolique mais absolument pas médicale durera jusqu’à l’arrivée des colons européens au 16ème siècle. Suivant les anthropologues, ce seraient surtout les hommes qui se transformaient leurs dents en bijoux.
Le bijou dentaire aujourd’hui ?
Si pour la majorité, les dents subissent le culte de l’alignement et du blanchiment pour un sourire hollywwoodien, les bijoux de dents existent. Ils s’appellent Twinkles ou grillz.
Le Twinkle ou tooth gems
Le Twinkle ou tooth gems, consiste à insérer une pierre précieuse ou une marque en or sur une ou quelques dents. La chanteuse Katy Perry arbore une virgule en or qui ressemble au logo Nike sur une molaire et Adwoa Aboah, la mannequin star montre sur une incisive un logo chanel en or. Pour Lana del Ray c’est toute une canine qui est diamantée.
Le grillz
Le grillz est un dentier en or ou pierre précieuses. Il est arrivé dans les années 80 chez les rappeurs américains. Il mettrait en mémoire l’époque de la traite des noirs où seuls les esclaves méritants auraient les dents soignés. Donc plus la boucle s’éclaire d’or et de diamants plus on a de la valeur. En 2013 celui de Pharrel William était en émail couleur arc-en-ciel avec une molaire de diamants.
Suivant le joaillier de Los Angeles Ofer Saha, alias « Big O The Jeweler », le phénomène s’étend aujourd’hui au-delà des rappeurs. Car si les rappeurs et leur équipe en porte, les sportifs les aiment aussi, ainsi que les youtubeurs, tatoueurs, bref toute une génération qui s’est affranchi des codes pour s’en inventer d’autres.
Ainsi, le bijou de dent, a bien à chaque fois, la mission d’afficher avec ostentation, son appartenance et son statut social, au sein d’un groupe.