#80 Couturissime célèbre le joyau couture Thierry Mugler

J’ai eu le plaisir d’être invitée au Musée des Arts décoratifs à l’avant première de cette, si fameuse exposition, consacrée à Thierry Mugler et je ne vous cache pas que tout d’abord j’étais tout simplement ravie de retourner au musée. Ensuite cette exposition consacrée à la démesure créative du couturier m’a transportée dans un ailleurs tellement extraordinaire que j’avais envie de vous faire partager le plaisir que j’ai éprouvé. Enfin la mode et les bijoux s’étant liés depuis l’exposition universelle de 1925, vous raconter cette haute couture et sa haute façon m’a tout simplement paru une belle idée.

Dans le hall d’entrée du musée une gigantesque silhouette invite à l’étage où dès la porte franchie on peut admirer « en vrai » cette même robe réputée la plus chère de l’histoire. C’est un fourreau entièrement formé d’écailles iridescentes. Le bas de la jupe et des manches se muent en longue crinière. L’abdomen est annelé et articulé comme celui d’un insecte et rutile de sa couleur or. Les seins érigés sont saupoudrés de cristaux et soulignés, dessous et entre eux, d’un poudroiement écarlate. Au dessus, deux ailes se déploient aux couleurs d’un ciel d’orage. La femme transformée ainsi en créature hybride devient dans cette création, une chimère magnifique présentée en point d’orgue de la collection éponyme de haute-couture automne-hiver 1997-1998. La robe alors portée par Adriana Karembeu, aura nécessité des milliers d’heures de travail en ateliers, la participation de nombreux artisans de l’excellence comme l’artiste maître sculpteur Jean-Jacques Urcun et le corsetier Mister Pearl et une multitude de matériaux par exemple les plumes, le crin de cheval mais aussi les cristaux et les diamants fantaisies.

Comme mon œil est irrésistiblement attiré par les bijoux, je tombe en arrêt devant un corset floral sublime, exposé seul au centre de 2 espaces. Le style est libre et naturaliste aurait très bien pu être inspiré de la Belle Epoque. Un enchevêtrement de lianes bijoux scintille de mille cristaux. Les tiges s’enroulent en vrilles bleutées, vertes et même mauves et enserrent la taille. Les rameaux grimpent des hanches à la poitrine pour s’épanouir en floraison charnelle tenant à la fois de l’orchidée rouge voluptueuse et de l’innocent lys pour exploser en gouttes de rosées diamantées jaillissant du cœur de pistil.

Autre atmosphère, autre sphère. Dans la salle où s’exposent les parfums, chaque mannequin symbolise une ambiance et des essences. Celui qui capte mon attention est une cyborg incarnée par une armure corset. Le métal, articulé, enserre le buste du pubis au plexus et garde l’arrondi de la poitrine. Cet habit de guerrière est aussi de lumière par la multitude de diamants cristallins en taille brillants et émeraudes, sertis clos et dressés les uns à coté des autres en rangs de bataille sur chaque hanche. A contrario, ces mêmes joyaux coutures, sont disposés en étoiles sur la poitrine qui ainsi rayonne. La tenue s’assortit de gantelets de chevalerie couvrant le bras entier du haut de la main jusqu’à l’épaule dont chaque extrémité brille de ces mêmes bijoux disposés en croix rayonnante comme une protection.

Nouvelle salle, nouvel univers, cette fois la femme est devenue mécanique.

La collection était celle de l’automne-hiver 1989-1990 et s’appelait « Hiver Buick » ? Le bustier métal que portait Naomi Campbell pour ce défilé s’appelait d’ailleurs “roulé comme une Buick”, et véritablement, du compteur placé au nombril, aux seins en pare-choc, la femme était transformée en carrosserie. Dans cet ensemble inspiré de l’automobile, le détail bijou m’a interpellé.

En effet, ce bustier ne comportait aucun accessoire puisqu’alors chaque détail reflétait à la fois l’esprit de cette inspiration mécanique et également faisait référence à la beauté des voitures américaines des années 50 où l’on savourait à la fois l’esthétique de la mécanique et le luxe de ses finitions. Mais juste à côté, la silhouette présentée est un fantasme de pneus créé avec le designer Abel Villareal.

En cuir et caoutchouc, les crans dessinent leur voie en suivant le cintrage du tailleur et la basque se gonfle comme une chambre à air. Même le bibi crânement incliné sur l’œil est une petite roue. Et là-dessus, un sautoir de grosses perles percutant le pneumatique noir de sa blancheur et de son ruissellement se double autour du poignet pour se garer finalement sur le sac à main conçu en morceau de jante.

Au delà des carapaces, antennes, yeux de mouches et ailes de papillon qui signent la collection « Insecte » ?

J’ai repéré dans une vitrine entre les croquis du parfum Angel et une lettre de Jacques Lang, une broche «  mille patte ». Longue comme les « devant de corsage » d’autrefois, en métal doré, le corps du scolopendre s’articule autour d’une colonne vertébrale formée d’une double rangée de cristaux bleus et verts en taille baguette d’où parte une à une des pierres taillées en navettes couleur tsavorite adossées chacune d’une perle or d’où s’échappe un fil doré recourbé donnant parfaitement l’illusion de mouvement des pattes. Aux deux extrémités, 2 cristaux taille princesse se dressent comme une double vue couleur rubis devant lesquels trainent 2 brillants oranges figurant les antennes.

Puis l’exposition m’emmène au Far West pour la collection Prêt-à-porter printemps-été 1992 intitulée Les Cow-boys. Les symboles de l’Amérique de cette époque sont tous présents : le hamburger est pailleté et sac à main, la canette de Coca Cola est accrochée à la cuisse en porte flingue et le bustier “Harley Davidson” comporte le guidon et les miroirs rétroviseurs. Mais c’est un autre bustier qui m’a interpellé. Un corset bien sûr, tout doré. Les seins sont tenus par 2 étoiles de shérif d’où partent 2 baleines corsetées de fil d’or et rythmées de médailles sculptées en ronde bosse au symbole du dollar. Ce trésor arrogant par son emblème et son excentricité m’a fait penser à la saison sur les joailliers du rap qui vient de se terminer dans mon podcast thématique Il était une fois le bijou. Les pièces d’or s’accumulent sur les flancs et ruissellent sur le pubis comme une dénonciation des circuits financiers et de leur provenance parfois glauque.

Crinoline façon Mugler

Enfin, dans la dernière salle, c’est une robe qui m’a interpellée. Une robe sans un seul morceau de tissu. Une crinoline façon Mugler. Tout en arabesques, de la pointe des seins à la figure des cerceaux, jusqu’à l’esquisse de la collerette qui remonte derrière les épaules. Partout se suspendent des pampilles de cristal transparentes et des pendeloques de perles dorées dans une magnificence très Versailles. Sur la hanche droite, le croissant de lune souriant auquel s’accroche une étoile est en sequins et surplombe une orchidée d’or, détournant subtilement les symboles royaux. La toilette se complète d’une coiffe en pointe, cerclant le front comme un bandeau des années folles revisité en casque bijoutier, par le motif central de 2 soleils brillants, encadrés de 2 gros cabochons rouge profond,  précédé d’un joyau en losange et surmonté d’une grosse gemme hexagonale. Attachés de chaque côté de la coiffure, les cristaux ruissellent jusqu’aux épaules comme d’immenses boucles d’oreilles.

Que l’on connaisse ou pas la mode, cette exposition interpelle. On se rend bien compte de la réflexion du couturier sur le porté. Les matériaux alors inusités comme le plexiglas, le chrome ou le caoutchouc change la façon de concevoir le vêtement et donc le corps et modifie le concept du chic et du luxe par leur télescopage avec les cristaux, les broderies et le soin apportés aux détails.

Si la silhouette Mugler est parfaitement reconnaissable : taille étranglée, jupe serrée crayon, poitrine dressée et veste ajustée aux basques sculptées. L’interprétation que nous pouvons faire de cette femme Mugler est intimement liée aux variations sociétales. Au moment où Thierry Mugler la crée, il est en rupture totale avec le look « Flower pover » des seventies. Comme Christian Dior qui avec le style New look voulait « des robes (…) construites, moulées sur les courbes du corps féminin dont elles styliseraient le galbe. »

La différence c’est que le principe féminin de Mugler est une super héroïne. Bien sûr elle est fatale et hyper féminine, mais aussi cyborg, guerrière et maitresse. Elle correspond à une reconnaissance de leur compétence et de leur responsabilité que les femmes revendiquent à partir des années 80. La nouvelle génération qui cherche aujourd’hui à mêler harmonieusement travail et famille, responsabilité et maternité dans une démarche d’authenticité et de naturel, ne se reconnaitra peut être pas dans cette image féminine. A moins qu’elle ne voit dans cette différence et cette exubérance créative, le droit à l’individualité et à la pluralité des beautés. Qu’importe au fond puisque Thierry Mugler a fermé sa Maison de couture en 2001.

Mugler de Thierry à Manfred

Quelque part, cet artiste qui semble avoir changé de voie souvent est en fait l’exemple de notre époque en quête de sens. Jeune danseur classique, il découvre le spectacle, formé à l’architecture il crée une mode hyper structurée et devient photographe avec les plus grands comme Helmut Newton en pensant ses campagnes publicitaires. Quand il décide d’abandonner la couture pour l’univers du spectacle, il réunit dans les faits tous ces parcours qui se retrouvent dans ses nouvelles activités de metteur en scène, mais aussi créateur de costume et photographe. Et même si Thierry veut maintenant qu’on l’appelle Manfred, Mugler rassemble toujours la même intensité créative.

En tous cas sa vision était tellement différente qu’elle en est devenue intemporelle et son style continue à être source d’inspiration pour le secteur. Même sa façon de quitter la mode en dénonçant le poids de l’économique sur la création et le renouvellement incessant des collections est aujourd’hui parfaitement en phase avec les concepts d’une slow-fashion et d’une mode plus responsable.

Mugler refusait les rétrospectives, c’est pourquoi cette exposition est exceptionnelle et sous la direction du commissaire d’exposition Thierry-Maxime Loriot, elle s’est ouverte à Paris au Musée des Arts décoratifs, après un tour du monde commencé à Montréal, puis Rotterdam et Munich. Vous pourrez la voir jusqu’au 24 avril. Et je serai ravie que vous me racontiez les pièces qui vous auront interpellées sur les réseaux sociaux d’Il était une fois le bijou.

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