#89 le bijou fétiche de Véronique

Tout le monde a un bijou fétiche, précieux ou non, mais auquel on est terriblement attaché parce qu’on nous l’a transmis avec son histoire, parce qu’on se l’ait offert à un moment particulier, parce qu’on nous l’a offert, avec amour. Quelque fois ce n’est même pas un bijou. Mais l’histoire qui le sous-tend, le transforme en joyau de notre cœur. Il est notre gri-gri, notre talisman, notre trésor.

Alors je suis allée à la chasse aux histoires et je suis tombée sur un bec. Pour nombre d’entre nous, ce bijou fétiche est tellement lié aux sentiments qu’il est difficile de la partager.

Véronique a accepté et je la remercie. Voici l’histoire de son bijou fétiche.

Elle caresse doucement les formes bombées de l’objet d’un doigt affectueux. Elle se tait, en elle-même, intensément. Alors je me tais, attentive. Elle inspire profondément puis commence à raconter : « ma grand-mère a reçu cette petite cloche, le jour de sa communion, des mains de sa mère. Il est devenu son porte-bonheur, au sens littéral car un an après sa mère disparaissait ne lui laissant que ce souvenir de bonheur ».

L’objet est chargé de symbole : c’est un bijou fétiche.

D’un point de vue mystique, il cumule le symbole du contenant et du contenu.

En effet, la cloche du celtique Clocca, est l’un des plus anciens instruments sonores. On suppose qu’elle apparaît quand l’homme a maîtrisé la technique de l’argile et l’usage du feu pour fabriquer des vases « sonores » par résonance. D’ailleurs les plus anciennes cloches en métal datent de l’âge de bronze. La cloche est d’abord un instrument païen et universel dont la longue portée acoustique est utilisée pour communiquer au loin, soit vis-à-vis des hommes. Par exemple au Moyen-Age faire sonner la cloche dans le château permettait aux habitants d’être alerter d’un danger et de se réfugier dans l’enceinte de la citadelle. D’un point de vue religieux, la cloche sert à communiquer vis-à-vis des dieux. Encore aujourd’hui, les cloches des églises accompagnent toujours les rites chrétiens, que ce soit pour les fêtes patronales, le baptême, le mariage, les funérailles, etc. Elle invite au rassemblement du peuple. En ce sens, elle symbolise la communication et l’appel.

La petite cloche de Véronique s’ouvre pour découvrir un chapelet. C’était autrefois un cadeau idéal pour une communiante car la cloche devenue contenant devient ainsi une sorte de clocher, symbole de l’église qui résume la communauté des croyants et des individus. Le chapelet est un objet de dévotion catholique mais est aussi c’est aussi un bijou-symbole qui est utilisé par de nombreuses religions pour compter les prières comme le Tchotki orthodoxe, le Sabha musulman, ou encore le Mâlâ hindouiste. Enfin, le chapelet situé dans la cloche sert de marteau sonore et restitue sa fonction de signal d’alarme ou d’appel aux dévotions.

Mais pour Véronique, ce bijou fétiche est le symbole d’une filiation familiale, d’une transmission de femmes à femmes. Elle évoque d’abord sa grand-mère, Marielle, la première héritière et donc la seconde détentrice. Marielle qui su contrer son destin et s’échapper de la province où son père notaire, âgé et veuf l’entourait d’amour mais aussi de rigides convenances. Véronique raconte « Elle était fantasque, gaie et légère, elle s’est choisi un époux aux goûts artistiques affirmés, habitant Paris et qui l’a amusé toute sa vie ». Marielle décide de transmettre, elle aussi, cette petite cloche à trésor caché. Elle la donne à Geneviève, la mère de Véronique, aînée de ses cinq enfants. Véronique se souvient « au milieu de tous ces beaux bijoux, parmi les saphirs et les perles qu’elle aimait, et que j’avais le droit de caresser, il y avait cette petite cloche qu’elle me prêtait comme un trésor et que j’avais juste le droit de regarder.». Ce trésor c’est le cœur et les sentiments, la tristesse éprouvée, l’amour mère-fille et la lignée qui le rend sororal.

En effet, la petite cloche n’est pas en métal précieux mais en bakélite verte.

Ce matériau, développé entre 1907 et 1909 par le chimiste belge Leo Baekeland, et donc appelée « Bakélite » est de la classe des phénoplastes dont la nomenclature chimique officielle est anhydrure de polyoxybenzylméthylèneglycol et la formule (C6-H6-O.C-H2-O)x. Sa dureté et sa légèreté a permis de nombreuses utilisation notamment pour des meubles, des pièces automobiles (volants, manettes, allumage des bougies, plaques de frein), des pièces de l’aéronautique (pales d’hélice), des armes (du pistolet mitrailleur MP38 ), des objets quotidiens (lampe-torche, appareil photo, écouteur), des objets de luxe (la lunette de la montre Rolex GMT-Master, le corps des stylos Montblanc noirs) et même des bijoux (Coco Chanel l’utilise en lançant ses « vrais bijoux en toc »). Reconnaissance suprême, Serge Gainsbourg fait référence à la Bakélite dans sa chanson Sea, Sex and Sun : « Tes p’tits seins de Bakélite qui s’agitent ». Les objets en Bakélite sont devenus aujourd’hui, par leur qualité de conservation comme par l’engouement pour l’Art déco, des objets de collection.

Le bijou doit mener son chemin de vie

Mais pour Véronique, la valeur intrinsèque de ce bijou fétiche n’est pas importante. Et elle sait de quoi elle parle ! Gemmologue reconnue, elle a tenu dans ses mains les plus belles pierres précieuses !

Elle me raconte les paroles de sa mère lorsque qu’elle lui a donné cette petite cloche à la naissance de sa fille Blanche : « Cette petite cloche doit mener son destin de vie et je veux qu’elle t’accompagne ainsi que Blanche tout au long de ta vie ». Véronique a été d’autant plus touchée qu’elle n’est pas l’aînée de sa fratrie. Elle a bien ressenti qu’elle était en quelque sorte élue « gardienne » de cet héritage. Alors depuis ce temps, la petite cloche en Bakélite à sa place sur la table de nuit de Véronique. C’est le dernier objet qu’elle voit avant de rejoindre les bras de Morphée. C’est aussi le premier objet qu’elle voit au réveil. Elle aime la subtilité de l’objet, la rondeur féminine de la forme, la délicatesse des petites perles du chapelet. Elle apprécie le côté « boîte à secret ». Elle ressent l’aura féminine et familiale et à l’occasion lui confie mentalement ses doutes.

Bien entendu sa fille Blanche lui a déjà demandé si elle en hériterait un jour. Véronique a acquiescé car elle sait que sa fille a hérité de la même sensibilité pour les objets et leur histoire. Elle m’avoue « Je laisserai la vie me guider pour choisir le moment de lui transmettre ce bijou fétiche, mais Blanche sera la 5e génération ».

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