Dans chaque moment de crise on demande beaucoup à la jeunesse : c’est la première à être envoyée au front avec plus ou moins de préparation, elle doit s’adapter aux conditions sans bénéficier de l’expérience de ses ainés qui n’ont pas connu cette situation inédite, elle doit faire le deuil de ses rêves et la perte de cette innocence laisse une trace profonde dans une génération entière. Aujourd’hui semble a priori moins dramatique que pendant les guerres mondiales. Les jeunes ne sont pas envoyés à la mort. Les cours ont lieu, avec plus ou moins de réussite en distanciel comme on le dit maintenant, les examens sont repoussés ou adaptés. Mais l’époque apprend aux jeunes que l’autre est un tueur en puissance et que l’altérité est devenue un poison. Je ne suis pas sociologue ni philosophe et je ne peux imaginer les conséquences durables sur l’esprit de la génération future. Si leur maitrise du numérique leur donne aujourd’hui une aisance certaine, leur reproche aux générations antérieures concernant l’écologie et l’économie qui pouvait être considéré comme une révolte adolescence normale, se double maintenant d’une méfiance et même d’un rejet de l’autre pour le moins inquiétant.
Alors j’ai choisi de vous parler d’un symbole estudiantin, et pas seulement d’un bijou, d’une véritable parure qui incarne la fraternité et l’esprit de corps, la croyance aux valeurs humaines sans lien politique et ni religieux, et qui symbolise l’attachement conjugué de l’envie d’apprendre et de travailler avec le plaisir de vivre et d’être ensemble.
Voici donc la Faluche estudiantine.
C’est une parure car c’est à la fois un ornement vestimentaire, une expression artistique et un élément du droit. Sa signification vient de l’histoire. Ses symboles décrivent l’étudiant et leur organisation sur cette parure obéit à des règles précises, décryptables et lisibles par tous les faluchards.
Tout d’abord une précision, la faluche n’est pas un béret. Le béret est associé soit aux français soit à l’élégance impertinente de la parisienne et trouve son origine acertainée en Béarn en 1835.
La faluche, elle, est ramenée de Bologne par les étudiants français le 25 juin 1888.
Mais je vais d’abord faire un petit détour sur les couvre-chefs symboles de l’érudition. Au Moyen Age les premières universités étaient dédiées à la théologie, la médecine et au droit. Comme elle était régit par le clergé, les professeurs-moines comme les étudiants portait une robe académique, une sorte de toge à capuche. Cette « cappa clausa » est introduite aux Etats Unis par les premiers colons issus d’Oxford et de Cambridge et a donné le costume académique que les étudiants arborent lors de leur remise de diplôme. Le chapeau carré, appelé « Mortier » aurait été rapporté par les étudiants revenant de Florence pendant la période Médicis. Ou bien, ce serait une évolution du « pileus » un genre de béret en feutre avec au centre un petit bouton carré porté par les frères laïcs de 1311.
Revenons en France précisément à la fin du second empire. Napoléon III, est tout à la fois le dernier monarque et le premier président élu au suffrage universel. Il hérite d’un rejet des valeurs aristocratique et d’un désenchantement des idéaux républicains de la première heure. Il veut moderniser et restaurer la puissance française dans le monde. Alors il sent bien qu’il faut donner à tous des valeurs communes, ce qu’il fera par l’instruction. On lui doit pêle-mêle l’enseignement secondaire des filles, l’histoire et la géographie en primaire, la philosophie, les langues vivantes, les arts et le sport dans le secondaire. C’est lui qui nous a inculquer nos ancêtres les gaulois et Vercingétorix comme figure de la résistance et de la débrouille à la française.
Cette réorganisation de l’enseignement va favoriser la renaissance des associations d’étudiants dont les premières sont fondées en 1876 à Nancy et 1878 à Lille. En 1884, le journal Le cri du peuple publie un article déclarant que l’étudiant « ne s’affirme guère que par une indécence de babouin greffée sur une bêtise de rhinocéros ». Les étudiants commencent par une réaction musclée puis à l’initiative d’étudiants de médecine et de sciences vont créer l’Association Générale des Etudiants en profitant des dispositions de la nouvelle loi qui règlemente le syndicalisme. En abrégé cette association se nomme simplement A et le slogan de son journal est: « l’A, le premier journal… par ordre alphabétique! ». Bientôt toutes les villes estudiantines sont dotées de leur association et les relations internationales s’initient.
Le 12 juin 1888, les étudiants parisiens sont invités à fêter les 800 ans de l’Alma mater Studiorum, l’université de Bologne pour le Congrès National et International des Étudiants Universitaires. Mandadé par l’A et le président Sadie Carnot, 6 étudiants (Chaumeton, Chandebois, Stœber, Bernard, Franck et Demolon) se présentent en costume de ville sombre égayé d’une cocarde à la boutonnière et d’un ruban en sautoir aux couleurs de la ville de Paris. Les défilés des étudiants de tous pays forment un ensemble bigarré de costumes et de coiffures : Tunas des Espagnols, Penne et calottes des Belges, képis des Suisses,… Ces vêtements et couvres chefs se réfèrent à des ordres. Les italiens fondent la Goliardia et porte la faluca. Alors les français décident de fonder l’ordre de la faluche et porteront donc la faluche qu’il ramène le 25 juin 1888 à Paris. Elle « déchire » dirions nous aujourd’hui au Quartier Latin et est adoptée par l’ensemble des étudiants de France lors des fêtes du VIe centenaire de l’université de Montpellier du 22 au 25 mai 1890.
A partir de ce moment la faluche devient bien plus qu’un couvre-chef, c’est une véritable parure qui comme tout bijou transmet une charge symbolique unique. En effet, si la faluche est le symbole de l’étudiant, et si les faluchards se mobilisent souvent lors des événements associatifs étudiants, l’ordre de la faluche est différent et s’en détache en étant a-politique et a-religieux.
En 1932, ce sont des Faluchards qui créent un établissement charitable de distribution de soupe populaire pour les chômeurs de la crise de 1929.
Le 11 novembre 1940, la première manifestation publique contre l’occupant est le fait des Faluchards qui rendent hommage au soldat inconnu à l’Arc de triomphe. Les Allemands ouvrent le feu puis interdiront le port de la faluche. Une plaque commémorative sur les murs de l’actuelle ambassade du Qatar aux Champs-Élysées, rappelle encore ce souvenir.
Mai 1968, va affaiblir le rayonnement de l’ordre de la Faluche car sa neutralité politique est jugée suspecte et son ordre est considéré comme rétrograde.
En 1988 a lieu le congrès des 100 ans de la faluche, à Reims. Depuis, un congrès-anniversaire a lieu tous les ans dans une ville différente.
Aujourd’hui, l’ordre de la faluche est une des trois plus anciennes traditions étudiantes de France avec les Gadzarts de l’Ecole des Arts et Métiers, et les Fanfares des Beaux-Arts.
Entrons maintenant dans le secret de la faluche. C’est une parure signifiante et qui se lit comme un code secret.
Tout d’abord la forme de la faluche donne l’origine géographique : la plus commune est la lilloise avec une partie circulaire renforcé par du plastique et gainée de cuir, celle de Montpellier possède 4 crevés dont les couleurs annoncent les spécialités d’étude, la marseillaise est plus large, la tourangelle se distingue par un circulaire mou et la strasbourgeoise y positionne 6 passants. Aujourd’hui, les fabricants se font rares alors les étudiants confectionnent quelque fois eux-mêmes leur faluche.
La faluche est en velours noir. L’impétrant, c’est-à-dire celui qui veut entrer dans l’ordre de la faluche doit avoir 2 parrains. Ceux-ci lui offrent la faluche et veillent à ce que le postulant couse correctement et à la main les rubans qui témoignent de ses études avant le baptême de l’impétrant qui deviendra après cette cérémonie un faluchard.
La circulaire est la bande de velours qui borde la faluche et fait le tour de la tête. La matière et la couleur renseigne sur les études. Un ruban de velours indique des études de santé car à l’époque on pensait que le sang ne tenait pas sur cette matière. La couleur rouge indique des études de médecine, le vert la pharmacie, le rose la parapharmacie, le violet pour les dentistes, etc.… Un ruban de satin désigne toutes les autres études et là aussi les couleurs servent d’identité. Par exemple l’Architecture, les Beaux-Arts, le Cinéma et Théâtre sont en satin bleu, les écoles de commerce en rouge et vert ; les lettres, langues et sciences humaines sont en jaune et les ingénieurs en noir et bleu.
Par contraste, on appelle le velours, la partie qui couvre la tête. On y coud sur la gauche de l’oreille les rubans aux couleurs de la ville d’étude qui s’arrête au premier tiers ainsi que l’écusson aux armes de la ville. On y adjoint les rubans des associations auxquelles l’étudiant appartient. Là encore la longueur du ruban et sa couture est riche d’enseignements : l’arrêt aux 2 tiers indique une implication, la coudée à 120 degré désigne un membre du bureau. Un ruban jaune cousu du frontal à l’occipital et tombant sur le cœur nous dit que l’étudiant est un élu d’une association c’est-à-dire l’université, l’UFR, le Crous ou le Cnous.
Dans le dernier tiers de la faluche avec un coude à 120 degré on va trouver au premier tiers le ruban aux couleurs de la ville de naissance de l’étudiant et au 2e tiers la région de sa naissance. Chaque ville et chaque région est différentes et le code a eu recours aux blasons historiques des villes. Car bien sûr pour que chacun puisse décrypter cette parure, les étudiants ont décidé d’un code commun en 1986. Depuis, chaque année, toutes les Croix c’est-à-dire les Grands Maîtres et les Grands Chambellans, comme s’appellent les responsables de la faluche de toutes les universités, se rassemblent en congrès le 1er week-end de juillet pour notamment adapter les rubans et insignes en fonction par exemple des évolutions des cursus scolaires.
Car le symbolisme ne s’arrête pas aux rubans il y a aussi les insignes. Malheureusement, là aussi les fabricants se raréfient.
Sur la circulaire les insignes indiquent la scolarité de l’étudiant. Chaque bac a son insigne. Les littéraires disposaient d’un Phi, les matheux d’un epsilon, les économistes d’un Béta. S’y joignait l’année du bac puis les années d’études. Chaque prépa dispose de son insigne par exemple la chouette bicéphale indique une prépa santé. Puis on trouve des étoiles. Les étoiles dorées indiquent une année commencée puis réussie, les étoiles argentées signalent un redoublement. A la suite se trouve les insignes des filières d’études. Par exemple les beaux arts arborent un insigne en forme de palette de peintre avec un pinceau, les études de commerce portent un caducée de mercure à ne pas confondre avec le caducée de médecine encore différent de celui de pharmacie. Quand un cycle est terminé et réussi une palme le signale. Quand un diplôme est obtenu l’insigne sera une double palme assorti d’un brin de chêne ou de laurier. Une tête de mort montre l’abandon d’une filière. Une tête de vache nous dit que l’étudiant a été reçu au rattrapage.
Les symboles de la faluche indiquent aussi la personnalité de l’étudiant. Sur la circulaire il peut indiquer son surnom et sa devise. Sur le velours, il y a un espace prévu où il peut mettre tous les badges, pins et insigne qui le désigne et les échanger en signe d’amitié avec d’autres faluchards. Il peut arborer les villes et pays où il a étudié. Il peut dire qu’il est célibataire avec un chameau présenté à l’endroit, indiquer les clubs auxquels il appartient comme ses loisirs avec par exemple un épervier s’il aime les grands espace ou une fourchette si ce sont les plaisirs de la table qui le séduisent. Il y a des insignes décernés par les Grands Maitres comme récompenses, par exemple le mammouth qui encense un gardien des traditions ou l’abeille qui signe une belle minutie dans le travail. Les insignes délivrés par les responsables peuvent également punir. Une bouteille de bordeau indique une cuite sévère et une bouteille de champagne montre à tous que l’étudiant a fait un coma éthylique ce qui implique qu’il ne sait pas se tenir. Un cor de chasse indique à tous et surtout à toutes qu’il faut se méfier de cet étudiant insistant stigmatisé « grand chasseur devant l’éternel », une façon efficace de dire « balance ton porc ».
Et puis il y a l’espace secret, à l’intérieur de la faluche qui est appelé jardin.
Il contient des insignes en forme de plantes qui révèle l’intimité de l’étudiant et sa façon d’aimer l’amour. Etre invité à regarder ce jardin et à en entendre le décryptage équivaut à ce que l’étudiant ouvre son cœur et s’apprécie, en privé, entre personne consentante.
Enfin le dernier insigne que je vais vous décrire est celle des Grand Maitre et grand Chambellan qui ont la tache de garantir des traditions, de veiller du bon déroulement des baptêmes et aux comportements des faluchards. Ils sont désignés par une croix sur laquelle est indiqué « au mérite ». Elle est portée au bout d’un ruban aux couleurs de leur filière. Celle du Grand Maitre est émaillée de blanc, celle du grand chambellan est dorée.
A la faluche de tous est accrochée le bouchon de champagne de leur baptême et la faluche elle-même est solidement arrimée par une corde ou une chaine qui s’attache à leur corps. Et quand les études sont terminées, la faluche est enterrée. Les conditions actuelles ne permettront probablement pas cette cérémonie de passage vers la vie. Je souhaite néanmoins à tous les étudiants même ceux qui ne sont pas faluchards de s’inspirer de François Rabelais choisi comme égérie depuis la naissance de la faluche estudiantine pour son amour du savoir et surtout sa tolérance.
Ainsi se termine cette histoire d’Il était une fois le bijou.
Je remercie chaleureusement Rebecca Taillia, Grand Maitre de Pharmacie Paris Descartes, de m’avoir accordé 2 longues heures d’interview et lui souhaite « bon vent » comme on dit aux marins qui se lancent dans de nouvelles aventures car comme elle termine brillamment son cursus, elle va donc transmettre sa Croix et enterrer sa faluche. Et surtout je lui souhaite bon courage car elle va aussi se trouver en première ligne dans cette nouvelle flambée épidémique. Mes pensées vont à tous les jeunes mais je me permets une dédicace spéciale à tous ceux des professions médicales et en particulier, si vous me le permettez, à mon fils ainé, Grand Alcoolier de Pharmacie Paris Descartes.