Pendant les Journées du Patrimoine, je suis allée au Sénat et bien sûr j’ai eu beaucoup de plaisir à visiter le Palais du Luxembourg, à savourer les peintures et la beauté de ce monument, à m’imaginer Marie de Médicis dans ce magnifique palais construit pour elle en 1625 par Salomon de Brosse, puis à cheminer concrètement dans l’histoire de la France puisque c’est Napoléon qui le fait transformer par l’architecte Chalgrin et y installe les premiers sénateurs en 1804. Et enfin, c’est en 1958 que le Général de Gaulle y crée la Ve République. Alors le Sénat, en temps qu’organe de l’Etat, devient ce qu’il est encore aujourd’hui. D’ailleurs le Président du Sénat est le deuxième personnage le plus important de l’État après le Président de la République car c’est lui qui le remplace en cas de décès.
Bref j’arrive dans le saint des saints, je veux dire : l’Hémicycle. Et je vois qu’en lieu et place des guides et surveillants qui m’avaient jusqu’alors accueillis, les personnages qui viennent à ma rencontre ont un uniforme caractéristique y compris la jeune femme qui me parle. Elle porte un frac : queue de pie et pantalon noir. Chemise, gilet et nœud papillon blanc immaculé. Bouton de perle et une chaine très longue partant des clavicules et descendant en 2 rubans pour se rejoindre en boucle symétrique dans le gilet. Le maillage est également singulier. Les gros maillons ont une forme oblongue avec en son centre une fleur emboutie. Alors évidemment je me suis interrogée. Je ne suis pas vraiment satisfaite aujourd’hui de ces recherches mais voilà ce que j’ai trouvé.
Ces personnes sont les huissiers à la chaine.
Tout d’abord les huissiers sont des officiers.
Le mot « office » vient du latin « officium » qui signifie « service », « fonction » et « devoir ». L’officier est le titulaire d’une « charge », c’est à-dire une activité qu’il exerce au nom du Roi. Cette fonction peut être très éminente, comme les trésoriers généraux de France, ou simplement importante comme les receveurs ou justement comme les sergents et les huissiers.
C’est Philippe Le Bel qui crée la classe des sergents et des huissiers pour le petit château fort du Châtelet par les ordonnances de 1302 et 1309. Les sergents avaient pour missions de signifier et faire exécuter les actes judiciaires et extra-judiciaires. Ils sont à pied dans Paris et à cheval à l’extérieur. Puis une nouvelle mission leur est demandée : deux sergents sont placés à la porte du tribunal, ce sont les huissiers. Ce terme vient du mot « huis » dérivé du latin « ostium » pour « ouverture » et donc signifie « la porte ».
La profession est très respectée car tous les souverains, rois, reines et princes disposent d’huissiers chargés de garder les portes de leurs chambres et anti-chambres, d’en contrôler l’accès, ou de fermer la porte aux importuns d’où l’expression « huis clos ».
Les huissiers sont donc armés et ont autour du cou une lourde chaine en or avec une médaille à l’effigie du roi.
L’un des plus célèbres utilisateurs d’huissiers en armes est d’ailleurs Jean sans Peur, duc de Bourgogne qui en remplit ses palais après l’assassinat en 1407 de son cousin, frère du roi, Louis d’Orléans.
Au départ la charge est vénale, c’est-à-dire qu’on l’achète, ce qui renfloue les caisses du roi. Pour exemple dans l’Almanach de la Cour en 1693 il est écrit que Jacques Marin de Caux règle la somme de 4 000 livres pour partie du prix de la charge d’huissier de la salle de la Maison du roi et qu’il lui reste à payer 2500 livres aux héritiers du vendeur décédé.
Précédemment, en 1604 une nouvelle taxe appelée « la Paulette », permet la transmission héréditaire automatique de la charge en diminuant le montant de la taxe de mutation. La Paulette est une taxe annuelle équivalente au soixantième du prix de la charge.
Mais l’argent seul ne suffisait pas à obtenir la charge d’huissier. Une ordonnance de 1560 permettait de vérifier leurs aptitudes mais on faisait également une enquête sur leur vie et leurs mœurs. Car la mission de l’huissier revêt évidemment un caractère de protection puisqu’ils permettent, ou pas, l’accès à la personne royale.
L’huissier à la chaine est au cœur des activités de l’Etat, ils assistent à l’histoire en direct et en connaissent tout le déroulement. On raconte que quand on a ouvert le tombeau de Richelieu en 1866, on a retrouvé un corps supplémentaire. Et les recherches ont montré qu’il s’agissait de son huissier à la chaîne l’accompagnant dans tous ses déplacements et faisant appliquer ses directives au sein de la Grande Chancellerie.
La révolution supprimera tous ces offices, puis le Consulat et l’Empire les restaureront.
Aujourd’hui les huissiers à la chaine sont répartis dans les cabinets ministériels et présidentiels et dans les assemblées parlementaires jusqu’au Parlement européen.
L’huissier garde l’huis (la porte)
A l’origine, l’huissier à la chaîne avait la garde de la porte intérieure qui donne accès dans un cabinet, un appartement ou une antichambre. Aujourd’hui, et particulièrement dans l’hémicycle, ils sont chargés de surveiller les entrées et venues, ils savent reconnaitre les élus et dirige les invités vers les balcons, ils désignent à chaque nouvel élu la place qui sera la sienne.
Les huissiers à la chaine sont également chargés de distribuer les amendements et courriers aux députés. En effet, les élus n’ont pas le droit de se déplacer comme ils le souhaitent. C’est donc aux huissiers d’apporter les textes à étudier, directement sur les bancs. Et quand les députés ou les sénateurs souhaitent échanger entre eux, ils notent leur message sur un papier et appellent un huissier pour faire passer leur note à son destinataire. En effet, l’usage du téléphone portable n’est pas autorisé dans l’hémicycle. Alors les huissiers doivent veiller à ce que les appels se passent à l’extérieur.
Dans l’ancien régime, l’huissier à la chaine devait écarter l’importun, et admettre l’ayant droit. Ils étaient armés et leur chaîne servait concrètement à maintenir les portes fermées lors des débats en huis clos.
Les Huissiers à la chaîne d’aujourd’hui sont des fonctionnaires d’État et sont au service des grandes administrations, au Sénat, à l’Assemblée Nationale et à l’Elysées.
Ils ont toujours missions de protection, alors ils sont formés évidemment au profilage et à la gestion de conflits, aux sports de combats comme à la neutralisation et au désamorçage des explosifs. Comme leur uniforme comprend toujours une épée (fabriquée sur mesure et en argent massif), ils sont entrainés à l’escrime par la Garde Républicaine.
Et les femmes ? Le féminin de « huissier » est « huissière ». Mais dans les textes c’est sous le titre « huissier à la chaine » qu’en 1997, Nicole Fournet-Morice est la première femme à endosser le poste et l’uniforme à l’Assemblée Nationale et Céline André en 2014 au Sénat. Et bien sûr elles portent la lourde chaine d’argent !