#22 La dentelle joaillière

By Anne Desmarest de Jotemps
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On trouve des franges faites à la main en « point de filet » dès l’Egypte antique, en Grèce et à Rome. Ces techniques pourraient être considérées comme l’ancêtre du tulle. Le tulle est donc formé par un réseau de mailles régulières de fins fils de coton, de lin, de soie ou de laine et ce travail en réseau donne un tissu transparent et vaporeux. A ce niveau ce n’est pas à proprement dit de la dentelle.

La passementerie est la technique pour faire des nœuds autour de fils. Il y aurait des ressemblances de base avec la dentelle mais sa finalité est différente.

Louis XIII couronné par la Victoire  peinture de Champaigne 1635
Champaigne Philippe de (1602-1674). Paris, musÈe du Louvre. INV1135.

La dentelle est un tissu sans trame ni chaine, c’est-à-dire un tissu qui n’est pas tissé. C’est l’assemblage des points qui forme un motif que l’on appelle dentelle. On peut dire que la dentelle se base sur un maillage de type tulle sur lequel on forme des motifs.

La guipure, est elle un assemblage de motifs reliés entre eux.

On admet que la dentelle viendrait de Venise au XVIe siècle et on trouve le terme « dentelle » pour la première fois en 1545 dans l’inventaire de la dot de la sœur de François 1er.

Mais la dentelle aurait d’abord été destinée aux messieurs qui la portent sur leur armure. La dentelle ornait le bord des fraises, puis celui des grands cols blancs que l’on portait sur les vêtements en soie ou velours et sur les armures. La dentelle coutait déjà très cher et on pouvait se ruiner pour la porter.

Charles-Louis et Robert de Bavière, 1645 - Antony Van Dyck - Musée du Louvre à Paris
Charles-Louis et Robert de Bavière, 1645 – Antony Van Dyck – Musée du Louvre à Paris

Louis XIV adorait la dentelle aussi vers le XVIIe la dentelle est à la mode pour tous. C’est au XIX e que Napoléon III décide qu’elle sera réservée au vêtement féminin. Aussi la demande explose et la dentelle à la main ne peut suffire à satisfaire la demande. Ce sera donc les débuts de la production mécanique puis industrielle.

Aujourd’hui ? Un renouveau pointe son nez, mais sans la haute couture, les savoir faire disparaîtraient. La lingerie usuelle, même en dentelle, n’utilise pas le même degré de complexité. Mais la dentelle est un savoir faire d’excellence qui fait toujours rêver. Heureusement ! Si Catherine Martin, la costumière du film « Gatsby le magnifique » n’avait pas insisté pour faire réaliser les costumes dans un des berceaux de la dentelle française à Caudry, sans l’exposition médiatique et l’exposition tout court qui a eu lieu à New York, la disparition des dernières entreprise de dentelle aurait peut être déjà eu lieu.

gatsby le magnifique dentelle de Caudry

Il y a deux techniques pour faire de la dentelle à la main.

Il y a la technique au fuseau : vous savez on voit souvent ces images où planté sur un coussin avec des aiguilles, plein de fils sont suspendus au bout de bobines pointues que l’on appelle des fuseaux, et la main de ma dentellière fait s’entrecroiser les fils dans une danse agile qui miraculeusement se transforme en motifs. Quelque fois Il y a sous les aiguilles plantées un papier que l’on appelle un carton et qui est le tracé du motif.

Une autre technique est celle de l’aiguille : muni, uniquement d’un fil et d’une aiguille, la dentelière réalise des points qui peuvent être très complexes.

Il faut rappeler que les conditions de travail des dentellières n’étaient faciles. Elles travaillaient chez elles, un acheteur venait récupérer les morceaux de dentelles qui faisaient quelque fois seulement 10 cm de long suivant la complexité demandé pour plusieurs mois de travail. Puis une autre dentellière assemblait les morceaux. Elles ne touchaient pas grand-chose pour un travail long et minutieux dont le résultat final nécessitait encore beaucoup d’étapes.

Pour vous faire rêver voici quelques dentelles célèbres

La dentelle de Venise est aussi appelée « Point de Venise » ou « le point en l’air ». Elle existe depuis le XVème siècle, et est confectionnée à l’aiguille à base de motifs circulaires.

La dentelle d’Alençon est née en 1720 en Normandie et ornait les tenues des nobles. On l’appelle aussi « la reine de la dentelle ». Elle se fait l’aiguille, elle se caractérise par un fin circuit de mailles hexagonales finalisées par un bord de relief.

La dentelle de Chantilly était la préférée de Madame du Barry et de Marie Antoinette. En noir ou blanc, elle est composée de fleurs et créée au fuseau avec un fil de soie.

 La blonde doit son nom à sa couleur  car elle est créée en soie naturelle, en lin ou avec des fils d’or ou d’argent. Réalisé au fuseau, elle compose un motif floral.

Donc au XXe siècle la dentelle se généralise et l’industrie se créé grâce à monsieur Leavers qui invente des machines de 15 000 fils dont les possibilités de motifs sont très variées. Il ne faut pas croire que cette industrialisation rend les savoir faire inutiles. Il y a plus de 60 étapes pour réaliser une dentelle et la main d’œuvre est spécialisée et très qualifiée comme tous les métiers d’art de la main. Les machines peuvent réaliser la dentelle de Calais comme celle de Caudry. La première est idéale pour élaborer des petites pièces pour de la lingerie, la seconde, plus large se destine à la haute couture. Kate Middleton a choisi pour sa robe de mariée une dentelle de Caudry de 2000 motifs de dentelle ré-inscrustées à la main réalisée par la Maison Sophie Halette.

kate middelton dentelle de caudry
Kate Middelton en dentelle

Au XXe, Calais rassemblent 500 fabricants qui emploient 30 000 ouvriers et ouvrières. Aujourd’hui, une quinzaine de Maison subsistent et Calais a transformé une usine historique en musée, la Cité internationale de la dentelle et de la mode.

Et la dentelle joaillière ? C’est un processus inverse. La dentelle en tissu part de fils. Elle est donc issue du vide. A l’opposé, la dentelle joaillière part d’une surface pleine, en métal précieux, qu’il faut ajourer.

Grosso modo il y a 6 outils : la cisaille, la pièce à main, les découpoirs, la découpe au laser, le ciseau d’orfèvre et la scie bocfil.

D’abord il y a la découpe à la cisaille. La cisaille ça ressemble à un sécateur et évidemment on peut faire le tour d’une forme avec la cisaille pour découper un contour dans une plaque de métal mais la cisaille a tendance à déformer la plaque et ne sert pas  à ajourer l’intérieur de la forme.

Puis il y a la pièce à main. C’est un outil mécanique relié à un moteur et commandé par une pédale. En fait ça ressemble vraiment à une fraise de dentiste et ça a le même bruit. La pièce à main sert à fraiser, polir et forer. Mais il faut que la forme soit déjà faite, dans le cas d’une dentelle cet outil peut servir de finition.

pièce à main
pièce à main

Après, il y a les découpoirs. Ce sont des formes que l’on frappe pour délimiter un bout de métal. En fait, ça sert d’emporte pièce comme pour découper une tartelette individuelle dans une grande pâte à tarte, sauf que là, c’est du métal !

Ensuite, il y a la découpe au laser. C’est évidemment une technique précise par une machine simple d’utilisation, mais chère à l’achat. Donc les artisans ne peuvent pas tous se la procurer. Et si la découpe est précise, elle est utilisée pour découper la plaque et pas toujours, ou pas dans tous les cas, pour l’ajourer.

Le ciseau d’orfèvre est un autre outil. C’est comme un ciseau de menuisier, en plus petit. Il y a un manche en bois qui tient un bout d’acier, plat ou arrondi, dont l’extrémité est tranchante. Ça c’est le principe, en fait il y a autant de sorte de ciseaux qu’il y a de chose à faire pour dompter le métal : les traçoirs, les profiloirs, les planoirs, les perloirs, les bouterolles, les biais, les bouges, les godronnoirs,… Tous servent à dessiner les motifs et à façonner le métal, le joaillier qui veut faire un motif dans le métal les utilisent mais c’est évidemment le ciseleur qui les utilisent le plus. Parce qu’ils servent à créer une forme avec un volume et un motif, alors que pour faire de la dentelle, il faut d’abord créer des vides.

Enfin l’outil-roi c’est la scie « Bocfil ». C’est l’outil de base du joaillier. Elle sert à scier, à découper, à repercer, et même à limer une découpe. ça ressemble à une scie à métaux mais plus petite et maniable et les scies qu’on y met sont fines, très fines, souvent autant qu’un fil. Bien sûr ça casse, souvent, surtout quand on débute, et même après.

scie bocfil
scie Bocfil – Marc Lauert

Alors on pose son « plané », c’est-à-dire ce qu’on veut travailler, sur la cheville (vous savez le bout de bois qui dépasse de l’établi). On tient fermement. Et l’autre main on tient la scie Bocfil avec le plus de grâce et de souplesse possible, perpendiculairement au plané et on scie avec un mouvement aérien, ferme et délicat à la fois. Quand on le raconte c’est poétique mais je vous jure qu’à faire, c’est super dur. J’ai essayé lors d’un cours à l’Ecole des Arts joailliers et franchement, j’ai cassé ma scie 2 fois en 10 mn et heureusement que la pièce était pré-découpée parce que j’ai mis 30 mn pour découper 1 cm….

Alors quand on voit la délicatesse des pièces de Buccellati on ne peut être qu’admiratif. Le joaillier s’est imposé depuis sa création en 1919 en Italie ce qui n’est pas une mince affaire dans un pays qui aime autant les bijoux et Buccellati est connu et reconnu pour sa joaillerie de dentelle d’or. Chaque minuscule trou dans le métal est fait à la main et ce qui, dans les bracelets, donne au métal une souplesse comparable au tissu et ça c’est aussi une prouesse. Il excelle dans le style florentin qui s’inspire des motifs de la Renaissance, qu’il stylise et simplifie géométriquement, auquel s’ajoute un travail d’ajourage et de gravure. Sa ligne Tulle est plus proche de la dentelle nid d’abeille, (ce sont des espèces de petites alvéoles en dentelle) et sont caractéristiques de son style.

En France, LA dentellière en or est Sara Bran. C’est elle qui a inventé le mot. Pour ses premières dentelles sur or, après de nombreuses recherches (elle était l’invitée du Musée National des Arts décoratifs de Lisbonnes), elle réinterprète des dentelles existantes : Point Colbert, Point d’Alençon, Tulle brodé…

Comme elle excelle dans ce domaine qu’elle s’est choisie, elle obtient de nombreuses distinctions : en  2010 la Fondation Bettencourt Schueller la nomme Finaliste du prix pour l’Intelligence de la Main, en 2015, elle est Lauréate du Talent de la Rareté des Talents du Luxe organisé par le Centre du Luxe et de la Création Paris. En 2016, sa bague Blue Gold Hearts, est présentée dans l’ouvrage « Tanzanite, Born From Lightning » de Didier Brodbeck, Icaro Carlos et Hayley Henning. En 2017, elle collabore avec Piaget sur la montre Altiplano Double jeu et une manchette en or assortie.

En 2018 elle présente son travail dans l’exposition « l’or des secrets » qui lui est consacré au Musée Secq des Tournelles à Rouen où on découvre qu’elle a aussi réalisé le contour en dentelle de métal précieux pour des flacons collector de la petite robe noire de Guerlain. Tout son travail est fait à la main, à la scie Bocfil de façon très minutieuse.

Elle se caractérise par la précision de sa découpe, la délicatesse de ses sertis de diamants et de pierres fines et l’élégance de son registre ornemental. Car aujourd’hui, Sara Bran crée ses propres motifs de dentelle d’or qui sont sa signature.

sara bran - Shamsah

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